L'humain c'est la possibilité de redouter l'injustice plus que la mort.   E.Lévinas, De l'Un à l'Autre

Emmanuel Levinas
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levinas_1.gifManuscrit - 3. Penser le sujet à partir du visage

L’expérience limite de la souffrance humaine et de la nudité amène Lévinas à s’interroger sur l’ouverture à la transcendance. Dans sa philosophie, l’immanence intègre la mort et l’amour. De la même manière qu’au cours de l’isolement et de la souffrance est présent l’espoir de retrouver l’être cher, ainsi, au cœur de l’affectivité partagée, les situations limites de vie émergent de manière nouvelle –comme un retour du refoulé– pour recouvrir une humanité de surcroît. Les lignes qui suivent tentent d’entrer avec Lévinas dans la droiture du face à face avec le visage de l’autre. Pour réaliser ce passage, il faut et il suffit de reconnaître derrière le masque du bourreau le regard d’un visage humain dans sa nudité et sa transcendance[1].

3.1. L'Infini prend corps dans la parole

Parler, est-ce nécessairement parler de soi ? D’une part, la parole évoque un parlêtre (Lacan) qui s’ex-prime. D’autre part, elle signifie l’effort d’un sujet qui tente de prendre distance avec l’épaisseur de son être. Lorsque le moi parle à soi, c’est pour s’arracher à l’anonymat de l’être et demander au soi de s’encombrer du moi. «La solitude du sujet tient à sa relation avec l’exister, dont il est le maître. Cette maîtrise sur l’exister est le pouvoir de commencer, de partir de soi ; partir de soi non pas pour agir, non pas pour penser, mais pour être». Cette relation du moi à soi est expérience d’un intervalle où le je compte avec le même. Elle se manifeste de façon primaire dans le cri : «j’ai faim», c’est-à-dire «je» dit à soi-même qu’il a faim. Je c’est moi, rivé à l’identité du Même, dans sa matérialité et son solipsisme[2]. Jeté en pâture à lui-même, l’être s’embourbe en lui-même[3].

a) parole et vérité

Durant les années de captivité, Lévinas a été associé à quantité de sentiments et d’attitudes liés à l’état de guerre. En quoi son statut de prisonnier de guerre en camp de rétention l’a-t-il préservé des atrocités réalisées dans les camps de concentration ? En quoi l’expérience du stalag affecte-t-elle la philosophie d’Emmanuel Lévinas[4] ? Avant même de vouloir découvrir en Lévinas le philosophe plus que le croyant, il convient d’entendre le message de l’homme en tant qu’être sexué et sexuel. Cet homme, dans sa responsabilité, ne craint pas de préférer l’amour de l’autre à sa propre virilité ou de confesser sa propre fragilité. Celui qui aime vraiment pour l’autre comprend qu’au cœur de situations inhumaines aimer c’est être dans l’impossibilité de s’anéantir. Charité bien ordonnée commence par autrui, même si celle-ci à l’origine profite d’abord au sujet.

b) parole et corporéité

Aussi tragique que soit le vécu, celui-ci reste une succession d’accidents. Mis en mots, le vécu devient rapport d’un fait divers de société. Il informe sans enseigner. Il dit la nudité ou la souffrance et les communique comme des cellules malignes. La mise à distance dans le récit est nécessaire pour s’arracher à la dépendance psychologique de l’état traumatique. Elle n’épargne cependant pas la répétition ou la perversion. Une réalité complètement distincte s’impose au sujet. Jamais plus il ne sera comme s’il n’avait pas connu cet instant. Il peut régresser dans un état antérieur au moment fatidique ou fuir dans la folie, mais ce sera toujours en rapport à ce qui le marque une fois pour toutes.

Pour l’esprit, l’effondrement du monde intérieur culmine dans la mort du symbolique. Seul l’imaginaire prétend répondre à l’épreuve de la réalité. Pour le corps, les traitements contre nature se traduisent en manifestations psychosomatiques. A la faim est associée la phobie d’incorporer la mort. Aux carences affectives s’associent les troubles de la vue, troubles digestifs ou cardio-vasculaires. Plus que jamais, le sujet est marqué dans sa singularité. Pour d’aucuns, la constitution physique et psychologique sera une aide, pour d’autres un handicap insurmontable. Quand un être humain souffre, c’est un homme ou une femme qui souffre, c’est un enfant qui pleure, c’est un adulte qui a le souci de communiquer la vie plus que la mort.

c) liberté de parole et langage corporel

Recouvrir la liberté après une période d’enfermement relève du miracle, du rêve, voire d’une incroyable erreur administrative –d’un oubli de ses bourreaux. Ce qui jusque-là était désiré intensément devient réalité. Le vécu appartient au passé. A présent, il s’agit de l’assumer comme expérience de vie –sans pour autant souffrir d’un dédoublement identitaire. A mesure que les distances physiques s’amenuisent, une distance intérieure grandit[5]. Il ne sera jamais plus possible de dire «tout» et de cacher «rien». La distance est présente jusque dans l’intimité la plus grande et la relation avec l’autre scelle définitivement l’impossible saisie du dire[6].

C’est avec prudence que Lévinas prend la parole dans ses œuvres après-guerre, conscient qu’il est difficile de parler sans ambages de régimes totalitaires sans subir soi-même la tyrannie des mots dans sa propre chair. Pourtant, dès 1946-1947, il s’engage à prononcer ses premières conférences sur Le temps et l’autre au Collège philosophique de Jean Wahl et à publier des articles dans la Revue de Métaphysique et de Morale[7]. Le monde, la mort, la relation à autrui à travers la femme et l’enfant sont les thèmes qui l’occupent en raison de leur altérité-contenu. Vivre en société n’est ni mal heurt (fait-d’être-jeté-dans), ni mauvaise heure (fait d’être né trop tôt) , mais «association de côte à côte» à partir de laquelle se construit la «relation du face-à-face»[8].

Dès lors, se préoccuper «de pain plus que d’angoisse» fonde l’hypostase. L’hypostase, c’est partir de soi au présent et déchirer l’anonyme de l’exister. L’hypostase est première liberté où la relation avec soi (le nécessaire pour être) introduit le rapport avec des êtres non pas interchangeables mais uniques parce que «les plus proches». Entrer dans la droiture du face à face avec l’Autre c’est accueillir la collectivité du «moi-toi» comme un lien entre deux libertés séparées par le mystère de l’altérité. L’épiphanie d’autrui suscite la responsabilité.

3.2. L'infini transcende les catégories de la corporéité

Trois concepts clés permettent de saisir la vie d’Emmanuel Lévinas : la mort, la sexualité et la loi[9]. Chez Lévinas, la mort c’est l’épreuve-réalité du national-socialisme qui se pressent sans se laisser dépasser. Elle se reconnaît dans le temps du survivant, dans sa nudité et sa souffrance. La loi c’est l’excendance du sujet dans un lieu circonstancié et son interprétation comme attachement à un autrement qu’être. Elle se laisse saisir dans l’amour de la vérité (ou Torah) et de la liberté (ou interprétation talmudique). La sexualité, c’est l’attention à autrui à partir de son régime d’incarnation. Cette relation est personnelle et entretient l’altérité. Dans le cas de Lévinas, elle désigne sa relation avec l’étranger de son être sexué –le féminin– et l’étranger de sa paternité (ou génitalité) –la filiation. Dans les paragraphes qui suivent, c’est l’entre-deux de la mort et de la loi qui retient notre attention. En effet, il semble que le discours de Lévinas cherche, à l’issue de chaque épreuve-réalité de la vie, à retrouver son équilibre au cœur de la préoccupation philosophique pour l’autre. Emmanuel Lévinas ne prétend pas qu’une situation de guerre permette mieux qu’une situation de paix l’épiphanie de l’altérité de l’autre. Toutefois, c’est à partir d’une histoire bien concrète qu’il transmet une approche de l’idée du visage. Il reconnaît que l’altérité de la mort l’a conduit au féminin et à la thématique de la filiation.

a) corporéité et féminité

Dans la philosophie d’Emmanuel Lévinas, la notion du féminin est liée aux événements biographiques de l’auteur[10] et à sa position au sein du judaïsme[11]. Au même titre que l’épiphanie de la mère signifie à l’enfant (Emmanuel ?) la fin de l’absurde bruissement de l’il y a, la femme –qui accueille son époux au retour de la guerre dans sa demeure[12]– manifeste la bonté de celle qui existe pour autrui. La femme répond à une solitude intérieure de l’homme en lui offrant un lieu de douceur dans l’espace[13]. Pourtant, après avoir posé la collectivité du «moi-toi» comme un «face-à-face sans intermédiaire», Lévinas semble craindre le pathétique de l’éros[14].

L’épiphanie du féminin est le premier visage de l’Autre et cependant il constitue une équivoque. Au cœur du pathos de la rencontre, la femme –à l’instar de l’Autre– se retire dans son mystère et apparaît «réfractaire à la société, membre d’une société à deux, d’une société intime, d’une société sans langage»[15]. Craignant la volupté qui isole les amoureux, il a d’autant moins de peine à exalter la maternité[16] de celles qui par leur «présence secrète, à la limite de l’évanescence» –mères, épouses et filles–, dessinent «la dimension de l’intériorité» et rendent «habitable le monde»[17].

Préoccupé par une approche affective d’autrui qui exclut la fusion autant que le rejet, Lévinas découvre dans le visage féminin une dimension de hauteur. Au plus intime de la rencontre affective, il reconnaît que la femme «accueille son partenaire masculin toujours de face» et complète l’homme non «pas comme une partie complète une autre dans un tout, mais, si l’on peut dire, comme deux totalités se complètent, ce qui est après tout la merveille des relations sociales»[18]. L’altérité du masculin et du féminin s’accomplit dans la sexualité à travers l’événement du langage comme une caresse du corps de l’autre. Pour échapper aux pièges de «l’Eternel féminin», il rappelle que la dimension de l’intime ouverte par la femme n’ouvre pas le sujet ipso facto à la transcendance. Il ne manque pas de rappeler que pour le judaïsme, «le féminin se révèle comme la source de toute déchéance»[19] et que «la figure où s’amasse pour le juif toute la tendresse de la terre, la main qui caresse ses enfants et les berce – ne sont plus féminines. Ni une femme, ni une sœur, ni une mère ne le guident. Mais Elie qui n’a pas eu de mort, le plus dur des prophètes, précurseur du Messie»[20].

Revenons à la préoccupation qui nous a conduits de l’altérité de la mort à l’altérité du féminin [...]. Comment le moi peut-il rester moi dans un toi, sans être cependant le moi que je suis dans mon présent, c’est-à-dire un moi qui revient fatalement à soi ? Comment le moi peut-il devenir autre à soi ? Cela ne se peut que d’une seule manière : par la paternité[21].


b) corporéité et filiation

Au même titre que le thème de la femme –inconsciemment lié à celui de la mort[22]–, Lévinas reconnaît que la réflexion sur la paternité et la filiation l’amène à «renouer avec le fil de l’histoire, concret dans une famille et dans une nation»[23] et dès lors avec son propre destin, sa vieillesse et sa mort. Peut-on dire que là où la féminité a échoué la filialité est l’accomplissement de l’incomplétude ? Répondre par l’affirmative c’est se soumettre pleinement à l’histoire personnelle de Lévinas et peut-être accepter comme un «a priori» ses propres mots. Mis à part l’expression «je n’ai pas mon enfant, je suis en quelque manière mon enfant»[24], Lévinas utilise presque exclusivement le qualificatif fils pour évoquer la filiation.

Dès lors, quitter le pathétique de la volupté du corps féminin c’est entrer dans le pathétique de la fécondité masculine. Au pardon, qui se célèbre au sein de la «société intime», fait écho celui que le fils seul est capable d’accomplir –au nom du père ?– en renouant avec le passé[25]. De fait, par son unicité, le fils «est une personne»[26], mais «parce qu’il est unique pour son père [...] il peut, enfant, ne pas exister ‘à son compte’. Et parce que le fils tient son unicité de l’élection paternelle, qu’il peut être élevé, commandé et peut obéir et que l’étrange conjoncture de la famille est possible»[27]. Le fils ouvre à la fraternité et à l’intervalle –un temps mort– où Autrui absolument autre peut se manifester.

3.3. L'Infini du visage introduit le sujet dans la culture de la responsabilité

Dans la philosophie de Lévinas, la notion de visage unit le Même et l’Autre en présence du tiers. Dans notre propos, elle sert le passage de la vie de l’auteur à son œuvre. Elle favorise l’appropriation de l’humanisme proclamé par la tradition judéo-chrétienne et élabore un espace social et politique sur la base d’une interpellation économique. Premier discours, le visage fait entrer le sujet dans l’aventure éthique de la responsabilité. Nudité extrême, son caractère paradoxal favorise une conscience nouvelle des frontières de la responsabilité pour l’autre homme. L’épiphanie du visage inaugure la culture de la responsabilité et suscite un engagement social, politique et économique[28].

«Faut-il, pour un dérangement absolu, que dans le Même fasse irruption une altérité absolue, celle d’Autrui ?»[29]. La question, déjà posée en son temps par Emmanuel Lévinas dans son livre En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger (1949) garde toute sa valeur au moment d’esquisser l’épiphanie du visage dans la pensée de l’auteur. D’une part, Lévinas reconnaît que l’éveil de la conscience répond à des événements traumatiques[30]. D’autre part, il justifie le renversement ontologique du Même par l’irruption d’une altérité absolue[31]. Ce disant, le philosophe n’institue pas un ordre nouveau mais une manière d’être qui en soi se caractérise par une inquiétude qui n’a-de-cesse –déstabilisation qui n’en finit pas de déstabiliser[32].

a) le visage est premier discours

Le visage parle[33]. Son épiphanie est langage[34]. En présence du visage, le sujet est mis en question par l’Infini de l’immanence de celui qui se donne à voir. Dans sa liberté d’être-au-monde, le sujet se découvre injuste, usurpateur d’une terre et meurtrier. Ebranlé par cette mise en présence de l’Infini, le sujet est visité par autrui. Pourtant, la Révélation n’a rien d’une apparition divine et le visage «n'y fonctionne pas comme signe d'un Dieu caché que m'imposerait le prochain»[35]. Visitation de l’humilité dans toute sa Hauteur, l’Infini, c’est l’Autre sans masque. Dans l'approche du visage la chair, dans sa nudité et sa misère, se fait verbe : langage éthique où la caresse –en tant qu'approche– s'expose dans un dire désintéressé.

La seule présence de l’Autre suffit pour signifier au sujet la sommation de répondre : «me voici»[36]. A la mesure du terrestre et de celui qui l’accueille, le visage instaure la liberté dans le sens de la bonté et de la fraternité. Le visage engendre pour la responsabilité[37]. Cette responsabilité «vient d'en deçà et va au-delà de ce qui tient dans le suspens d'une époque»[38]. Elle signifie le pour de l'un-pour-l'autre : gratuité totale qui rompt avec l'intéressement. Etre Moi signifie «ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité»[39].

Le visage où autrui se tourne vers moi, ne se résorbe pas dans la représentation du visage. Entendre sa misère qui crie justice ne consiste pas à se représenter une image, mais à se poser comme responsable, à la fois comme plus et comme moins que l’être qui se présente dans le visage. Moins, car le visage me rappelle à mes obligations et me juge. L’être qui se présente en lui vient d’une dimension de hauteur, dimension de la transcendance où il peut se présenter comme étranger, sans s’opposer à moi, comme obstacle ou ennemi. Plus, car ma position de moi consiste à pouvoir répondre à cette misère essentielle d’autrui, à me trouver des ressources. Autrui qui me domine dans sa transcendance est aussi l’étranger, la veuve et l’orphelin envers qui je suis obligé[40].


b) dans la nudité du visage, l’humilité s’unit à la hauteur

Penser le visage c’est penser le paradoxe et accepter de vivre en situation limite. Absence et proximité[41], face à face et invisibilité[42], droiture et énigme[43], sont autant de dialogues que l’épiphanie du visage fait naître dans la vie du sujet. Voir le visage c’est être touché par son épiphanie avant même d’avoir pu le caresser du regard ou de la main. Dans le visage, la nudité de l’Autre s’exprime. Cette nudité est «droiture qui me vise», mise en question de la liberté. Elle «est ordonnée à partir de l’absence où s’approche l’Infini»[44] et détrône la conscience de «sa première place».

Le visage n’est pas forme plastique[45]. Il est nuque, cou, épaule, forme humaine au-delà de la couleur des yeux et des cheveux. Il fait que le prisonnier des camps comme le SS ont un visage. Dans le face à face, chaque visage signifie la responsabilité pour l’autre[46]. La «vision» du visage dans sa nudité assujettit tout rapport humain à la vie économique. Le visage est commandement qui somme le sujet responsable d’approcher autrui avec les mains pleines. L’épiphanie d’autrui place le sujet d’emblée dans une relation de socialité. Par sa nudité, autrui fonde «l’absolument autre» et soumet la conscience à un face à face de proximité où la Hauteur de l’Autre s’impose autant que sa misère[47].

La présence du visage signifie ainsi un ordre irrécusable –un commandement– qui arrête la disponibilité de la conscience. La conscience est mise en question par le visage. La mise en question ne revient pas à prendre conscience de cette mise en question. L’absolument autre ne se reflète pas dans la conscience. Il y résiste au point que même sa résistance ne se convertit pas en contenu de conscience. La visitation consiste à bouleverser l’égoïsme même du Moi, le visage désarçonne l’intentionnalité qui le vise[48].


c) le visage introduit le sujet dans la culture de la responsabilité

Entrer dans la culture de la responsabilité avec Emmanuel Lévinas c’est pouvoir rendre compte en conscience de la valeur de son action au lieu où le corps s’expérimente en survivance[49]. Parler d’une éthique de la responsabilité conduit le sujet à prendre en compte ses propres convictions et à s’interroger sur le prix que celui-ci fait payer à d’aucuns sous couvert de nobles élans. Développer une culture de la responsabilité c’est rendre compte du sens de l’histoire et des modes d’action qui nient l’existence d’autrui en tant que personne. Sans se résigner à l’inexorable ni se soustraire à l’exigence de la réalité, le sujet responsable est celui qui permet, sur la base de sa propre autonomie, l’agir fraternel de générations futures[50].

Le sujet entre dans la culture de la responsabilité à partir de l’épiphanie du visage d’autrui. En tant que sujet responsable, il se reçoit comme corps humain et est l’otage d’autrui : homme pour un autre homme[51]. Cette condition ou in-condition qui fait de l’Un l’esclave de l’Autre se réalise au sens où le sujet responsable accueille autrui dans sa pauvreté comme son maître qui le commande[52]. Mais parce que n’importe quel homme peut être visé par le regard de son prochain, ce qui est perçu peut à tout moment laisser percevoir le langage de la révélation de l’Autre.

La vérité de la rencontre avec autrui est contenue dans la droiture du face à face. Ce face à face est situation ultime. Dans le face à face, la conscience mise en question découvre une liberté usurpatrice et meurtrière dans son exercice même. L’éveil à l’autre homme est exposition et non-indifférence. Elle est antérieure à toute délibération ou re-présentation, qui serait une réduction du visage. L’accueil fait au visage se manifeste dans la justice rendue à autrui. Etranger, il devient l’hôte privilégié. Affamé, il est celui dont la faim préoccupe plus que toute autre chose. Nu, il est l’acteur qui fait participer le spectateur à son propre dénuement. Parce que la justice est économique, rendre juste sa liberté c’est être responsable d’autrui de façon irrécusable.

La culture de la responsabilité ne consiste pas en une croisade affective pour libérer l’humain de la culture de la mort. Elle correspond à un agir humain unique et orienté absolument en direction de l’autre. La mort de l’autre homme concerne le sujet responsable au sens où la vie de l’autre est «mon affaire». Si autrui est donné-pour-mort au moi, c’est parce que celui-ci s’est soustrait –avant même de se trouver en-face du visage– à l’exigence morale d’une miséricorde sans concupiscence. S’éveiller à la responsabilité pour l’autre c’est entendre le commandement : «Tu ne tueras pas» comme une accusation qui réclame une réponse : «Me voici pour t’aimer»[53].

Signifiance du visage : éveil à l’autre homme dans son identité indiscernable pour le savoir, approche du premier venu dans sa proximité du prochain, commerce avec lui irréductible à l’expérience. Avant toute expression particulière d’autrui –et sous toute expression qui, déjà donnée à soi, protège– nudité et dénuement de l’expression comme telle. Exposition, à bout portant, extradition d’investi et de traqué –traqué avant toute traque et toute battue. Visage comme la mortalité de l’autre homme[54].





Note:
[1] «Souffrir avec l’autre, souffrir pour autrui. Cela est le commencement d’une humanité difficile, ce n’est pas de tout repos [...]. La dignité humaine que chaque être possède vient de là ; et nous sommes aussitôt, et sans aucun doute, dans le plan éthique» : J.-M. Norès, Une éthique de la souffrance. Entretien avec Emmanuel Lévinas : Autrement n. 142 (1994) 135.

[2] Cf. TA 59.

[3] Cf. TA 51.

[4] Cf. ELL 365-366.

[5] A la Libération, le premier désir des prisonniers fut de pouvoir rencontrer un morceau de pain. Dans cet aliment est présent tout le salut de l’humanité. Le second désir consiste à partir à la recherche des siens. Chacun pouvait laisser éclater sa joie et se porter enfin aux côtés des êtres qui lui étaient chers. A nouveau, pour bon nombre de personnes, aller de l’avant c’était se confronter à l’inconnu et à de nouvelles souffrances.

[6] «L’avenir, c’est ce qui n’est pas saisi, ce qui tombe sur nous et s’empare de nous. L’avenir, c’est l’autre» : TA 64.

[7] Revue dirigée par Jean Wahl, à partir de 1950. Cf. ELL 187-190.

[8] TA 19.

[9] Les concepts de la mort, de la sexualité et de la loi, se nouent entre eux de manière borroméenne. Il faut pratiquer la coupure dans l’un des trois anneaux qui constituent le nœud pour justifier du lien qui les unit. Chaque concept a son autonomie propre et s’articule aux deux autres sans hiérarchie olympique. Par son discours, l’intervention du sujet constitue le quatrième anneau. Celui-ci brise l’ordre initial et noue les trois autres entre eux en préservant le dés-intér-essement de leur ordre trinitaire. Le lien est anarchique et diachronique, parce que le temps de l’Un diffère de celui de l’Autre.

[10] Au sortir des camps, Emmanuel Lévinas est vivant. Aucune parole, aucun silence, ne parviennent véritablement à lui faire oublier la tumeur cancéreuse de la guerre qui s’est implantée dans sa mémoire. Ce n’est certes pas un bien que d’autres soient morts, mais c’est un bien qu’il puisse mettre sa liberté de survivant au service d’une «responsabilité pour la liberté des autres» (HH 87). Ce bien le place dans une situation de non-retour, donc également dans une responsabilité irréversible. Un bien qu’il découvre de manière nouvelle dans les valeurs familiales et dans le recueillement d’un chez soi.

[11] «Français de religion israélite» (cf. CH 554), Lévinas est tributaire de la langue de son pays d’adoption et de son attachement à vivre un judaïsme en diaspora (cf. ELL 338-346). Face aux événements de mai 1968, il essaie de percevoir dans les revendications des étudiants la préoccupation pour autrui. Sa formation lui permet-elle de voir dans l’émancipation du monde féminin d’alors autre chose qu’un simple libertinage sexuel ? Ses connaissances bibliques et certains détours par la langue hébraïque augmentent la difficulté de compréhension de la notion de féminin dans la pensée de l’auteur. Il parle de l’être humain en tant que féminin et masculin, et du féminin en tant que femme placée aux côtés de l’homme comme aide et soutien.

[12] Sans braver le ridicule en affirmant que «toute maison suppose en fait une femme», Lévinas soutient que le recueillement dans la demeure s’effectue à travers l’intimité avec quelqu’un, avec la femme (cf. TI 169 et 164). En famille, la répartition des tâches s’accomplit sur le modèle traditionnel où ce sont les «allées et venues silencieuses de l’être féminin» qui répondent à l’attente de l’autre et à son hospitalité (cf. TI 166-167). Cette pensée évoluera au long des années. Après avoir cru, comme il le dit lui-même lors d'un entretien «que l'altérité commence dans le féminin» (EN 123), il en viendra à reconnaître dans la proximité de tout visage la pluralité humaine du tiers. Dans l'approche du visage le pour-l'autre se lève dans le moi et sollicite une responsabilité pour l'unique. L'urgence éthique réside dans la responsabilité pour l'unique au monde –l'aimé–, celui qui est radicalement étranger et pour qui le sujet existe-à-mourir (cf. E. Lévinas, Philosophie, justice et amour. Entretien avec Emmanuel Lévinas, Esprit n. 8/9 (1983) 16 ; EN 172-176).

[13] «Elle rend le blé, pain et le lin, vêtement [...]. Le lien conjugal est donc à la fois lien social et un moment de la prise de conscience de soi, la façon dont un être s’identifie et se retrouve [...] sans la femme, l’homme ne connaît ni bien, ni aide, ni joie, ni bénédiction, ni pardon» : DL 55-56.

[14] Cf. TA 89.

[15] TI 297.

[16] «La maternité se subordonne dans l’interprétation rabbinique de l’amour à une destinée humaine qui déborde les ‘joies de la famille’: il faut accomplir Israël, ‘multiplier l’image de Dieu’ inscrite sur le visage des humains. Non pas que l’amour conjugal n’ait aucune importance propre, qu’il se réduise au rang de moyen de procréation ou qu’il préfigure, comme dans une certaine théologie, les accomplissements. Tout au contraire, la finalité de la famille est le sens actuel de la joie de ce présent. Elle n’y est pas préfigurée seulement, elle s’y accomplit déjà» : DL 59.

[17] DL 53. «Lévinas describes the feminine as what is required in order to commune with oneself and to be capable of an ethical act. The feminine as the cardinal point of interiority, as the dwelling, as the silent language, aids the dissipation of the virile and helps find its way toward the unity of a silent interior life. The feminine compels the conquering and virile attitude to stop and to start thinking. It stops the project of being, a project that is deaf and blind to all that does not belong to the strength that persists. She who welcomes in her dwelling helps to find the way of interiority that stops this blind strength» : C. Chalier, Ethics and the Feminine : R. Bernasconi et S. Critchley (éd.), Re-Reading Lévinas, Bloomington 1991, 122.

[18] DL 57-58.

[19] DL 61.

[20] DL 62.

[21] TA 85.

[22] Cf. E. Weber, Anamnèse de l’immémorial. A propos de Autrement qu’être ou au-delà de l’essence d’Emmanuel Lévinas : A. Münster, Ethique et altérité chez Emmanuel Lévinas, Paris 1995, 91 ; AT 98-100.

[23] TI 311.

[24] TA 86 ; TI 310.

[25] Cf. TI 316 ; «Le fils peut ce que le Père n’a pas pu et ne pourra jamais. La vraie temporalité de la mémoire, car le souvenir, qui nourrit la nostalgie en pensant tous les compossibles, ne peut pas redonner la vie. La vraie temporalité où le définitif n’est pas définitif, dans laquelle, par conséquent, il importe moins de ‘ressaisir ce qui aurait pu être’ que de cesser de ‘regretter les occasions perdues’. Le temps n’est pas regret ni retour, mais avancée. [...] Le Désir, qui anime le Père, se retrouve, après la rupture et au delà de la rupture, dans le Désir du Fils. Le Fils est capable de renouer avec un passé qu’il a déserté» : P. Olivier, L’être et le temps chez Emmanuel Lévinas : Recherches de Science Religieuse 71 (1983) 360.

[26] TA 86.

[27] TI 312.

[28] La conclusion du présent chapitre est organisée autour de la notion du visage. L’intérêt du parcours biographique de l’auteur s’arrête avec l’année 1968. Le parcours bibliographique, qui lui fait suite, insiste sur la responsabilité du sujet : sortir de l’identique pour accueillir un Autre absolument autre. Après avoir pu entrer dans la vie et l’œuvre de l’auteur, un détour dans les «marges» de l’éthique de la responsabilité s’impose. La transcendance, le corps, et l’institution constituent, par substitutions successives, la trame du nouvel espace social. Etre responsable, c’est préserver le mystère d’autrui en se soumettant à l’exigence économique imposée par le discours sur les hauteurs.

[29] EDE 206.

[30] Cf. EI 11.

[31] «Dans le rapport éthique, autrui se présente à la fois comme absolument autre, mais cette altérité radicale par rapport à moi ne détruit pas, ne nie pas ma liberté comme le pensent les philosophes. La relation éthique est antérieure à l’opposition de libertés, à la guerre qui, d’après Hegel, inaugure l’histoire. Le visage de mon prochain a une altérité qui n’est pas allergique, elle ouvre l’au-delà. Le Dieu du ciel est accessible sans rien perdre de sa transcendance, mais sans nier la liberté du croyant» : DL 33-34.

[32] L’éthique développée par Lévinas est intimement liée à la perception que ce dernier a de sa vie intérieure. Le désir de proximité et la sensibilité à la vie d’autrui sont continuellement transcendés par l’émotion spirituelle. Pour Lévinas, judaïsme rime avec humanisme et antisémitisme avec haine de l’autre homme. Ce faisant, l’auteur ne se construit pas une cité céleste dans les airs pour mieux se réfugier dans une forteresse intérieure. Il reconnaît que le psychisme de l’un-pour-l’autre peut être considéré comme un «grain de folie» (cf. AE 111, note 1) de l’âme. Toutefois, cette folie ne doit pas son autorité à une démence personnelle, voire à des troubles de la personnalité, mais à une abnégation de soi pleinement responsable de l’autre. «L’éthique, c’est lorsque non seulement je ne thématise pas autrui ; c’est lorsque autrui m’obsède ou me met en question. Mettre en question, ce n’est pas attendre que je réponde ; il ne s’agit pas de faire réponse, mais de se trouver responsable» : DI 156.

[33] «Autrui qui se manifeste dans le visage, perce, en quelque façon sa propre essence plastique, comme un être qui ouvrirait la fenêtre où sa figure pourtant se dessinait déjà. Sa présence consiste à se dévêtir de la forme qui cependant déjà le manifestait. Sa manifestation est un surplus sur la paralysie inévitable de la manifestation. C’est cela que nous décrivons par la formule : le visage parle. La manifestation du visage est le premier discours. Parler c’est, avant toutes choses, cette façon de venir de derrière son apparence, de derrière sa forme, une ouverture dans l’ouverture» : HH 51 ; voir également EDE 194.

[34] «Visage, déjà langage avant les mots, langage originel du visage humain dépouillé de la contenance qu’il se donne –ou qu’il supporte– sous les noms propres, les titres et les genres du monde. Langage originel, déjà demande, déjà, comme telle précisément, misère, pour l’en soi de l’être, déjà mendicité, mais déjà aussi impératif qui du mortel, qui du prochain, me fait répondre, malgré ma propre mort, message de la difficile sainteté, du sacrifice ; origine de la valeur du bien, idée de l’ordre humain dans l’ordre donné à l’humain. Langage de l’inaudible, langage de l’inouï, langage du non-dit. Ecriture !» : Préface à l’édition allemande, TI II-III.

[35] AE 150.

[36] Cf. TI 73 ; EDE 194-195.

[37] TI 194.

[38] AE 154.

[39] EDE 196.

[40] TI 237.

[41] «La relation qui va du visage à l’Absent, est en dehors de toute révélation et de toute dissimulation, une troisième voie exclue par ces contradictoires [...]. Le visage est précisément l’unique ouverture où la signifiance du Transcendant n’annule pas la transcendance pour la faire entrer dans un ordre immanent, mais où, au contraire, la transcendance se maintient comme transcendance toujours révolue du transcendant» : EDE 198.

[42] «Le visage de l’homme — c’est ce par quoi l’invisible en lui est visible et en commerce avec nous» : DL 187-188.

[43] Le visage permet de penser la présence lointaine de l’autre. La présence du visage vient des hauteurs. Elle enseigne tout en permettant l’alternative de la vérité et du mensonge. Cf. TI 62.

[44] EDE 230.

[45] «Si la figure privilégiée du monde grec peut être isolée dans la divine harmonie de la statue, le trait spécifique du judaïsme est sans doute donné par le refus de toute plasticité, la visibilité, la divinité polythéiste et la beauté païenne qu’évoque la statue [...]. L’atmosphère propre de l’œuvre de Lévinas se laisse aisément reconnaître dans cette méfiance pour l’image, qui est parallèle à une autre conception bien juive, à savoir celle du privilège de la parole» : F. Ciaramelli, De l’évasion à l’exode. Subjectivité et existence chez le jeune Lévinas : Revue Philosophique de Louvain 80 (1982) 568, note 23.

[46] Cf. EN 243-244. Chaque partie du corps reflète un état d'âme. La main tendue qui réclame un morceau de pain exprime une prière, un cri, un sanglot. Celle qui se tend pour répondre à ce cri ou qui brave les interdits sociaux (préjugés, idéologies) dissimule une bonté secrète. Cf. V. Grossman, Vie et Destin, Paris 1983, 644 et 759.

[47] La nudité du visage menace parce qu’elle oblige le sujet à sortir de l’anonymat du regard et du primat du verbalisme pour se situer avec franchise en présence de l’autre. Supporter le regard du pauvre, c’est accepter de se tenir sous sa dépendance et répondre de sa nudité. Prendre la parole sur sa nudité, c’est permettre que «ce qui se passe ici ‘entre nous’ regarde tout le monde» : TI 234.

[48] EDE 195.

[49] Plusieurs questions restent sans réponse dans l’itinéraire d’Emmanuel Lévinas et obligent le lecteur a un accueil critique de certaines affirmations de l’auteur. Quelle sens peut avoir le «travail physique au quotidien en forêt –sous la surveillance de gardiens sans brutalité–» (ELP 95) et l’alimentation des fours crématoires par le bois coupé ? Un chien peut-il venir arracher les hommes à leurs jeux de société et aux «émotions artistiques du Kriegspiel » (DL 199) quand les humains eux-mêmes ne se prêtent plus attention ? Peut-on se permettre de tuer le temps en captivité à travers la lecture quand l’objection de cette action engage moins radicalement le sujet que celle de la conscience ?

[50] Cf. R. Spaemann, Notions fondamentales de morale, Paris 1999.

[51] «Cette manière d’être pour l’autre, c’est-à-dire, d’être responsable pour l’autre, c’est quelque chose de terrible car cela signifie que si l’autre fait quelque chose, c’est moi qui suis responsable. L’otage est celui que l’on trouve responsable de ce qu’il n’a pas fait. Celui qui est responsable de la faute d’autrui. Je suis en principe responsable, et avant la justice qui distribue, avant les mesures de la justice. C’est concret vous savez ! Ce n’est pas inventé ! Quand vous avez rencontré un être humain, vous ne pouvez pas le laisser tomber. La plupart du temps, on laisse tomber, on dit, j’ai tout fait ! Or on n’a rien fait ! C’est ce sentiment , cette conscience qu’on n’a rien fait qui nous donne le statut d’otage avec la responsabilité de celui qui n’est pas coupable, qui est innocent. L’innocent, quel paradoxe ! C’est celui qui ne nuit pas. C’est celui qui paye pour un autre» : AT 115-116.

[52] «Ce n’est pas parce que les hommes, de par leur corps, ont une expérience de la verticale que l’humain se place sous le signe de la hauteur» : HH 58.

[53] Dès lors, l’histoire de l’humanité devient le récit de la sublimation et de la profanation de l’amour du prochain. Cet amour s’expérimente dans la proximité «du moi pour un autre» et se vérifie «à travers toutes les modalités du donner, la susception du don ultime de mourir pour autrui». La culture de la responsabilité est rapport à la transcendance. Elle est «percée de l’humain dans la barbarie de l’être», promesse d’une vérité –droiture– dans la relation et non pas «froide exigence» ou indifférence complice. Cf. EN 243.

[54] EN 192-193. Les citations du paragraphe qui précède sont tirées des mêmes pages.



Date de création : 02/11/2004 - 21:27
Dernière modification : 05/11/2005 - 12:20
Catégorie : Manuscrit
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