Chaque fois que quelqu'un meurt, c'est l'ensemble de l'humanité qui en est responsable   Emmanuel Levinas, Pour une philosophie de la sainteté

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outpedlogo.gifThèmes - Ma place au soleil

Ma place au soleil…

La question de la place est au cœur de la problématique de la socialité. Pendant qu’au cœur de l’été certains quittent les espaces citadins pour se chercher une place au soleil, d’autres luttent pour obtenir en vain une place dans un "premier monde" qui miroite à leurs yeux comme un soleil.

Etre à sa place, conviction de tout un chacun. Et pourtant, une place qui questionne le sujet qui ne peut pas faire oublier tous ceux qui apparaissent en quête d’une place. Celui qui a une place peut-il se mettre à la place de celui qui n’est pas à sa place ? De quel droit celui qui est en place peut-il remettre autrui à sa place ? Sans compter l’expropriation majeure d’avoir une place et de prétendre se mettre à la place de l’autre pour mieux le comprendre.

Et que peut signifier la mise en mouvement pour se mettre à la place de l’autre, sinon littéralement l’approche du prochain ?
DDVI 30

Approcher autrui, oui ! Mais pas se mettre à la place de l’autre.

Non pas se mettre à la place de l’autre (substitution) mais que personne ne puisse prendre ma place de responsable devant l’autre … on perd radicalement sa place… place laissée vacante par le mourant
Autrui est le lieu où se place le non-lieu de ma subjectivité
Il ne faut pas penser l’homme en fonction de l'être et du ne pas être (AE 18)

L’été 2006 n’a pas échappé à cette valse des places, des déplacements et des placements. A chaque fois, un visage était au cœur du débat et à travers lui autrui dans toute sa transcendance.

Avoir à répondre de son droit d’être, non pas par référence à l’abstraction de quelque loi anonyme, de quelque entité juridique, mais dans la crainte pour autrui. Mon être-au-monde ou ma « place au soleil », mon chez-moi, n’ont-ils pas été usurpation des lieux qui sont à l’autre homme déjà par moi opprimé ou affamé, expulsé dans un tiers monde : un repousser, un exclure, un exiler, un dépouiller, un tuer. « Ma place au soleil » –disait Pascal–, le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. Crainte pour tout ce que mon exister –malgré son innocence intentionnelle et consciente– peut accomplir de violence et de meurtre. Crainte qui remonte de derrière ma « conscience de soi » et quels que soient vers la bonne conscience les retours de la pure persévérance dans l’être. La crainte d’occuper dans le Da de mon Dasein la place de quelqu’un ; incapable d’avoir un lieu –une profonde utopie. Crainte qui me vient du visage d’autrui.
EP 94, // AT 44 (philosophie et transcendance)

Rien de nouveau sous le soleil ? Tout est-il vanité ? Terrible méprise de celui qui continue de scruter le ciel alors qu’autrui est là, prochain qui m’interpelle et m’oblige à répondre depuis mon être-au-monde.

Le monde contemporain, scientifique, technique et jouisseur, se voit sans issue –c’est-à-dire sans Dieu– non pas parce que tout est permis et, par la technique, possible, mais parce que tout y est égal. L’inconnu aussitôt se fait familier et le nouveau coutumier. Rien n’est nouveau sous le soleil. [...] Vanité des vanités : l’écho de nos propres voix, pris pour réponse au peu de prières qui nous reste encore ; partout retombée sur nos propres pieds, comme après les extases d’une drogue. Sauf autrui que, dans tout cet ennui, on ne peut pas laisser tomber.
DI 31

Ma place, c’est cet espace qui pour moi vital peut être provocation.

Mon espace vital est une place que je prends aux autres et ma misère même est provoquante, accusatrice et sollicitatrice comme si elle portait « la justice sur (ses) vêtements ».
Exercices sur « la folie du jour », MB 71

Ethique : question première… philosophie première de l’être-au-monde, du Da-sein, qui depuis le lieu de sa (sur-)vie ne peut pas ne pas entendre l’impératif appel d’autrui :

 « … ma place au soleil. » Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre.
Pascal, Pensées ; Section V – La justice et la raison des effets

Pour Lévinas, être-là c’est se laisser interroger sur le comment je persiste et si dans cette sortie de moi-même (ex-istence) et dans ma (légitime ?) revendication d’être à ma place, je contribue déjà à cette usurpation du territoire et de la place d’autrui.

Est-ce qu’étant dans le monde, je ne prends pas la place de quelqu’un ? Mise en question de la persévérance, naïve et naturelle, dans l’être !
EI 120

Prendre sa place, c’est nécessairement repousser autrui dans un autre monde, que le sien. C’est s’imposer en remettant à sa place autrui dans un non-lieu, c’est l’exclure, l’expulser dans un tiers monde (Cf. S. MALKA, Lire Lévinas, Paris 1984, 110 ; ELP 115 et 133 ; EN 139).

L’altérité d’autrui est la pointe extrême du « tu ne commettras pas d’homicide » et, en moi, crainte pour tout ce que mon exister, malgré son innocence intentionnelle, risque de commettre de violence et d’usurpation. Risque d’occuper, dès le Da du Dasein, la place d’un autre et, ainsi, concrètement, de l’exiler, de le vouer à la condition misérable dans quelque « tiers » ou « quart » monde, de le tuer. Ainsi se dégagerait, dans cette crainte pour l’autre homme, une responsabilité illimitée, celle dont on n’est jamais quitte, celle qui ne cesse pas à la dernière extrémité du prochain, même si la responsabilité ne revient alors qu’à répondre, dans l’impuissant affrontement avec la mort d’autrui, « me voici ». Responsabilité qui garde sans doute le secret de la socialité, dont la gratuité totale, fut-elle vaine à la limite, s’appelle amour du prochain, amour sans concupiscence, mais aussi irréfragable que la mort.
AT 50

Cette interrogation accompagnera tout au long de sa vie Lévinas et alimentera sa philosophie ainsi que donnera consistance à son éthique de la responsabilité. L’interpellation inspirée des maximes de Pascal trouvera sa place en exergue à dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence et apportera une réponse à la dédicace du même livre

« à la mémoire des êtres les plus proches parmi les six millions d’assassinés par les nationaux-socialistes, à côté des millions et des millions d’humains de toutes confessions et de toutes nations, victimes de la même haine de l’autre homme, du même antisémitisme. »
Dédicace AE

Chez Lévinas, la question de la place débute par une jouissance première, amour de la vie.

La vie est amour de la vie, rapport avec des contenus qui ne sont pas mon être, mais plus chers que mon être : penser, manger, dormir, lire, travailler, se chauffer au soleil.
TI 115

L’amour pour la vie, est nécessairement amour dans un lieu, insouciance première.

Il s’agit d’une existence qui s’accepte comme naturelle, pour qui sa place au soleil, son sol, son lieu orientent toute signification.
La philosophie et l’idée de l’infini, EEHH 236

Ici, le lieu fait lien et devient un enjeu pour l’émergence des sujets.

«Toute la vie d’une nation, par-delà la formelle addition d’individus se posant pour soi, c’est-à-dire habitant et luttant pour leur terre, pour leur lieu, pour leur Da-sein, dissimule ou révèle –ou, du moins, laisse entrevoir– des hommes qui, avant tout emprunt, ont des dettes, se doivent au prochain, sont responsables –élus et uniques– et dans cette responsabilité veulent la paix, la justice, la raison. Utopie ! Cette manière de comprendre le sens de l’humain –le dés-intér-essement même de leur être– ne commence pas par penser au souci que les hommes prennent des lieux où ils se tiennent à être-pour-être. Je pense avant tout au pour-l’autre en eux où l’humain interrompt, dans l’aventure d’une sainteté possible, la pure obstination à être et ses guerres. Je ne peux oublier la pensée de Pascal : «Ma place au soleil. Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre».
EN 243.

Mais il faut et il suffit un lieu pour permettre l’ébranlement de la conscience. Lieu, où le désastre de cette étoile (soleil) qui illumine la terre puisse également éclaire la connaissance et permettre à la conscience de connaître l’éveil.

Présence « sous le soleil » et présence en plein midi de la connaissance. Dans les deux sens de l’expression sous le soleil, que réunit le mot onto-logie.
DDVI 79

Ma place n’est place que dans la mesure où elle est trace de mon passage. En ce sens, elle n’est ma place qu’en tant que place du tiers exclu. Je ne suis à ma place que déstituté.

Il ne se pose pas, se possédant et se reconnaissant, il se consume et se livre, se dé situe, perd sa place, s'exile, se relègue en soi, mais, comme si sa peau elle même était encore une façon de s'abriter dans l'être, exposé à la blessure et à l'outrage, se vidant dans un non lieu, au point de se substituer à l'autre, ne se tenant en soi que comme dans la trace de son exil. Tout ce que suggèrent des verbes comme se livrer, se consumer, s'exiler, par leur forme
AE 204

Ma place, c’est le lieu de mon exposition à autrui.

J'ai été depuis toujours exposé à l'assignation de la responsabilité, comme placé sous un soleil de plomb, sans ombre protectrice, où s'évanouit tout résidu de mystère, d'arrière pensée par où la dérobade serait possible. Exposition sans retenue à l'endroit même où se produit le traumatisme, joue tendue au coup qui frappe déjà, sincérité comme dire, témoignant de la gloire de l'Infini.
AE 227

Etre à sa place c’est prendre la place de quelqu’un ?

La question « ai-je le droit d’être ? » exprime avant tout l’humain dans son souci pour autrui. J’ai écrit beaucoup sur ce thème, c’est mon thème principale maintenant : ma place dans l’être, le Da- de mon Dasein, n’est-il pas déjà usurpation, déjà violence à l’égard d’autrui ? Préoccupation qui n’a rien d’éthérée, rien d’abstrait : la presse nous parle du Tiers Monde, et nous sommes très bien ici, notre repas quotidien est assuré. Aux frais de qui ? –on peut se le demander.
Pascal disait : le moi est haïssable. Dans l’affirmation souveraine du je, se répète la persévérance des êtres dans leur être, mais aussi la conscience de l’horreur que l’égoïsme inspire à ce moi-même. Pascal disait aussi que ma place au soleil est l’image et le commencement de l’usurpation de toute la terre.
On ne peut dire certes que Pascal ait ignoré le péché originel mais je me demande si l’humain comme tel ne suffit pas à ce suprême scrupule, si le scrupule est toujours déjà remords.
Violence du visage, AT 180

Etre à sa place, c’est se laisser remettre en place par autrui.

Avoir à répondre de son droit d’être, non pas par référence à l’abstraction de quelque loi anonyme, de quelque entité juridique, mais dans la crainte pour autrui. Mon « au monde » ou ma « place au soleil », mon chez moi, n’ont-ils pas été usurpation des lieux qui sont à l’autre homme déjà par moi opprimé ou affamé ?
La mauvaise conscience et l’inexorable, DDVI 262

Ma place, c’est le lieu où je vis dans la droiture du visage et où vie et mort sont en présence perpétuelle.

Citons encore Pascal : « C’est ma place au soleil, voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. » Crainte pour tout ce que mon exister, malgré son innocence intentionnelle et consciente, peut accomplir de violence et de meurtre. Crainte qui remonte derrière ma « conscience de soi » et quels que soient vers la bonne conscience, les retours de la pure persévérance dans l’être. Crainte qui me vient du visage d’autrui. Droiture extrême du visage du prochain, déchirant les formes plastiques du phénomène. Droiture d’une exposition à la mort, sans défense ; et avant tout langage et avant toute mimique, une demande à moi adressée du fond d’une absolue solitude ; demande adressée ou ordre signifié, mise en question de ma présence et ma responsabilité.
La conscience non-intentionnelle, EN 139-140.


Date de création : 19/08/2006 - 20:11
Dernière modification : 19/08/2006 - 20:31
Catégorie : Thèmes
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