Le mal engendre le mal et le pardon à l'infini l'encourage. Ainsi marche l'histoire.   E.Lévinas, Le Moi et la Totalité

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contrilogo.gifContributions|Henri Duthu - Le verset et l'au-delà du verset

LE VERSET ET 

L’AU-DELÀ DU VERSET

« Des versets crient : ‘Interprète-moi’. »

INTRODUCTION

Travailleurs en bout d’histoire : tels se présentent, selon la terminologie chère à Paul Ricoeur, l’exégète moderne André LaCocque[1] et le philosophe herméneute Emmanuel Lévinas. Comme beaucoup d’autres, ils se situent « sur la trajectoire qui part du verset pour s’étendre bien au-delà ».

C’est qu’une longue histoire de la traduction dans des langues étrangères à l’hébreu…[les] sépare du texte original, ainsi que de la façon dont il a été compris par ses premiers destinataires, et à plus forte raison de l’intention présumée de l’auteur. C’est parce que les Septante (LXX) ont traduit Exode 3,14a par egô eimi ho ôn, et les Latins par ego sum qui sum, qu’Exode 3,14 a pu exercer sur toute la pensée occidentale l’influence dont Paul Ricoeur a évoqué l’ampleur et la profondeur.  

La traduction grecque s’est révélée comme un véritable événement de pensée où le champ sémantique du verbe hébreu hyh s’est trouvé conjoint de façon durable avec le champ sémantique du verbe grec einai , puis du verbe latin esse. Or ces verbes apportaient dans le monde de la traduction une histoire conceptuelle considérable, issue principalement des philosophies de Platon et d’Aristote, donc de pensées bien antérieures à la traduction des LXX (283-246 av. J.C.). « Dès lors, souligne Ricoeur, cette histoire du sens s’est poursuivie, enchevêtrée à celle de la Bible hébraïque et chrétienne, à travers la patristique grecque et latine, puis la grande scolastique et ses géants (Bonaventure, Thomas d’Aquin, Duns Scot), à travers encore Descartes et les cartésiens, jusqu’à Kant et au-delà – c’est-à-dire jusqu’à nous, lecteurs de la Bible situés en bout de cette histoire tumultueuse des rapports entre Dieu et l’Etre. »

Avec André LaCocque, nous prenons cette histoire de la traduction d’Exode 3,14 au cours de la deuxième moitié du 20ème siècle, au moment où de nombreux exégètes d’origine allemande et américaine vont mettre à profit la renaissance de la pensée juive allemande. Celle-ci, en effet, avait été comme exhumée par la publication en 1964, à Francfort-sur-le-Main, d’un essai de Rosenzweig rédigé depuis 1929 ; il était intitulé Die Schrift et son sous-titre, ‘Mendelssohn et le nom de Dieu’, en précisait bien le contenu.   

En effet, comme le rappelle P. Ricoeur, « traduire, c’est déjà interpréter. Le travail scientifique d’exégètes comme Albrigth, Childs, Gese, Sarna, Zimmerli (pour ne nommer que les auteurs les plus souvent cités par LaCocque), et comme André LaCocque lui-même, n’échappe pas à cette contrainte : il appartient lui aussi à cette longue histoire de la lecture et de l’interprétation ; cette déclaration – entendons-nous bien – n’équivaut pas à une critique des exégèses scientifiques ; bien au contraire : la bataille pour une traduction autre, pour une interprétation autre, tire sa force de ce combat avec une tradition plurimillénaire ; les exégètes modernes sont comme nous : ils travaillent et pensent en bout d’histoire. »

Pour l’interprétation de la Révélation dans la tradition juive, deuxième partie de cette contribution, nous avons eu recours à Emmanuel Lévinas. C’est surtout dans ses ‘Lectures talmudiques’ et tout particulièrement dans ‘L’au-delà du verset’ publié en 1982, que le philosophe en a fait l’exposé pour ses coreligionnaires. Il savait pertinemment  que cette interprétation avait ‘une portée spirituelle propre et que les versets commentés, au lieu de reposer sur l’autorité des Ecritures, étaient destinés à l’asseoir’. Comme il le dit lui-même, ‘l’expression de la signification appartient à sa signifiance même, à l’étrange fécondité de l’intelligible, qui par là est esprit, c’est-à-dire inspiration (…) Des versets crient : – Interprète-moi –. inspiration de toute littérature authentique guidant l’histoire des nations’.

Dans son essai, sans chercher à différencier les catégories de la pensée juive de celles de l’hellénisme, le philosophe nous suggère qu’à l’ambition de la pensée de l’Etre, qu’il voit condamnée, devraient être substituées la force du témoignage et la dimension éthique de la Révélation. Le visage d’autrui, porteur immédiat du message du Sinaï me dit : ‘toi, ne me tue pas ! aime-moi !’ Le visage instruit  et il instruit directement sur le mode éthique[2], sans passer par une position préalable d’existence ; ainsi le visage d’autrui, en tant qu’instance éthique, peut-il être la trace de la Thora, toute autre qu’un savoir, qui instaure la responsabilité, et recommande à mes soins ‘l’orphelin, la veuve et l’étranger’.     

Cette percée d’une éthique sans ontologie, opérée par un penseur juif, a trouvé de nombreux échos du côté chrétien et a contribué à réinstaurer le dialogue judéo-chrétien au cours du pontificat de Jean-Paul II, dialogue qui, selon la récente déclaration de l’évêque de Jérusalem, ‘n’aurait jamais dû être interrompu’.

LA TRADUCTION DU NOM

selon André LaCocque [Penser la Bible[3]]

EXODE 3 [1-15]

« 1 Moïse faisait paître le troupeau de son beau-père Jéthro prêtre de Madiân. Il mena le troupeau au-delà du désert et parvint à la montagne de Dieu, à l’Horeb[4].

[2]L’ange du Seigneur[5] lui apparut dans une flamme de feu, du milieu du buisson[6]. Il regarda : le buisson était en feu et le buisson n’était pas dévoré.[3] Moïse dit : ‘Je vais faire un détour pour voir cette grande vision : pourquoi le buisson ne brûle-t-il pas ?’ [4] Le Seigneur vit qu’il avait fait un détour pour voir, et Dieu l’appela du milieu du buisson : ‘Moïse ! Moïse !’. Il dit : ‘Me voici !’ [5] Il dit : ‘N’approche pas d’ici ! Retire tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sainte !’ [6] Il dit : ‘Je suis le Dieu de ton père, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob.’ Moïse se voilà la face, car il craignait de regarder Dieu. [7] Le Seigneur dit : ‘J’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et je l’ai entendu crier sous les coups de ses gardes chiourme. Oui, je connais ses souffrances. [8] Je suis descendu pour le délivrer de la main des Egyptiens et le faire monter de ce pays vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel, vers le lieu du Cananéen, du Hittite, de l’Amorite, du Perizzite, du Hivite et du Jébusite. [9] Et maintenant, puisque le cri des fils d’Israël est venu jusqu’à moi, puisque j’ai vu le poids que les Egyptiens font peser sur eux, [10] va, maintenant ; je t’envoie vers Pharaon, fais sortir d’Egypte mon peuple, les fils d’Israël.’  

[11] Moïse dit à Dieu : ‘Qui suis-je pour aller vers Pharaon et faire sortir d’Egypte les fils d’Israël ?’– [12] ‘Je suis avec toi, dit-il. Et voici le signe que c’est moi qui t’ai envoyé : quand tu auras fait sortir le peuple d’Egypte, vous servirez[7] Dieu sur cette montagne.’

[13] Moïse dit à Dieu : ‘Voici ! Je vais aller vers les fils d’Israël et je leur dirai : le Dieu de vos pères m’a envoyé vers vous. S’ils me disent : Quel est son nom ? – que leur dirai-je ?’ [14] Dieu dit à Moïse : ‘JE SUIS QUI JE SERAI.’[8] Il dit : Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : JE SUIS [YHWH] m’a envoyé vers vous.’ » [15] Dieu dit encore à Moïse : ‘Tu parleras ainsi aux fils d’Israël : LE SEIGNEUR [YHWH], Dieu de vos pères, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob, m’a envoyé vers vous. C’est là mon nom à jamais, c’est ainsi qu’on m’invoquera d’âge en âge.’

EXODE  [3,14]

« Selon les statistiques, le tétragramme ‘YHWH’ apparaît 6829 fois dans la Bible hébraïque. La question des origines de cette formation philologiquement étrange, tout comme ses racines religieuses, est difficile. De nombreuses études ont été publiées par des biblistes, et elles sont, pour la plupart, intéressantes. Cependant , il suffit ici de mentionner, en accord avec la TWAT[9], que la demeure originelle de YHWH était dans le sud , dans les montagnes du Sinaï. »  

Replacé dans le contexte de Ex.,3-13,  le questionnement de Moïse ne vise rien d’autre que d’obtenir un « Nom de puissance ».

« Le problème est que Moïse attend un mandat du peuple. Mais selon le texte de l’Exode, Moïse lui-même ne connaît pas le nom de Dieu, tout en assumant que le peuple le connaît. Il espère que, le reconnaissant, ils verront en ce nom un signe qui validera la mission de Moïse[10] ! En fait, dit Sarna, on s’attend à ce que le peuple soit convaincu de la mission divine de Moïse grâce à la puissance inhérente au nom, et non pas par la formulation d’un nom ancien ou nouveau. La logique de la question de Moïse exige que dès le début sa requête soit d’obtenir ‘un nom de puissance’[11].

Car le nom lui-même est ici révélateur , comme son immense importance dans les Ecritures le démontre[12]. » 

Dans la réponse de Dieu, certains ont décelé un aspect négatif.

« Il y a [dans 3,14] comme un refus de céder à la requête (telle qu’elle est formulée). Plusieurs biblistes ont insisté avec force sur cette dimension négative. Certains n’ont même vu qu’elle dans la paronomase [13] ’eyeh’aser’eyeh’. Certes, la paronomase, grâce à son sens circulaire et son imprécision (comme dans l’expression espagnole  « que sera sera »), barre la voie a tout sens magique. Mais Dieu a un nom ; il est personnel et peut être invoqué ; on peut faire appel à son nom, on peut le prier et lui dire ‘Tu’[14]. Ce que Dieu refuse est sa propre abdication, sa propre destitution, sa dégradation au rang d’idole[15]. Mais en révélant un nom qui est, comme nous le verrons plus loin, un engagement total et dynamique envers son peuple, Dieu va au-delà de la requête ambigüe et l’intention quelque peu impure de Moïse. »   

« Plus important que la signification du Nom est sa fonction comme Nom ».

« Par cette affirmation, H. Gese[16], va plus loin que M. Buber. Il traduit ’ehyeh’ aser’ehyeh’ par : ‘Je me montrerai comme Celui en tant que tel je me montrerai’, ‘Je suis en tant que Celui qui sera montré’, et il souligne cette ‘ouverture sur le futur’.

Avec cette déclaration de Gese, l’intérêt passe à l’emploi de la racine hyh dans la formation linguistique du tétragramme. Tout d’abord, il faut dire que le problème soulevé par ce verbe hébreu polyvalent est éminemment difficile. Même l’affiliation de la forme ‘Yhwh’ à la racine ‘hyh’ est problématique. En ceci, l’importance d’une forte tradition biblique et post-biblique, selon laquelle le Nom est bien une construction verbale[17] étroitement rattachée à la racine ‘hyh’ est décisive. Ainsi la formule ’ehyeh’aser’ehyeh’ montre un véritable consensus dans l’association et la proclamation du Nom au champ sémantique du verbe ’hyh’. De plus, la phrase, du fait de sa formation paronymique, élimine l’idée que hyh ici puisse être une simple copule. Il signale plutôt une action dynamique, dans le genre ‘être avec, devenir, se montrer…’ ou même, quand le verbe retrouve sa pleine force fondamentale, « tomber, arriver, se produire, devenir (cadere, evenire)[18]’. Ainsi, une première conclusion  s’impose. Nous ne devrions céder ici à aucune abstraction ontologique au sujet de l’Etre, un sens que la racine peut avoir acquis plus tard quand la réflexion juive fut influencée par la pensée spéculative occidentale. Ce développement mis à part, un champ séman- tique étendu du verbe hyh, qui n’est pas favorable à des formulations spéculatives, reste ouvert à notre étude.»  

Les emplois temporels variés du verbe hyh ne semblent pas en mesure d’expliquer la formulation –’ehyeh’aser’ehyeh’ –.

« G. S. Ogden a présenté une revue synoptique des emplois temporels variés du verbe hyh, en apparence à la racine de la formation verbales de YHWH. Ses conclusions semblent fondées[19]. Il discerne trois sortes d’emploi :

1)     en tant que copule (cf. 1 Samuel 3,1, debar-Yhwh hayah yakar, la parole de YHWH était rare [en ces jours-là].

2)     en tant qu’indiquant l’existence (le sujet étant presque toujours indéfini, cf. 2 Rois 3,9, we-lo’ hayah mayim, et l’eau était manquante).

3)     en tant qu’indiquant une transition d’une sphère de l’existence à l’autre, devenant (avec la préposition le- ; cf.1 Samuel 10,12, al-kén hayta le-masal, voilà pourquoi le mot est passé en proverbe)[20]. 

Certains biblistes ont proposé de lire ehyeh et yahweh du texte massorétique[21] comme représentant, en fait des formes factitives ou causatives, rendant ainsi l’action exprimée par ces formes comme étant, Je/ Celui qui fait que ce soit, c’est-à-dire le Créateur. On doit compléter la formule avec un complément d’objet, soit Moïse, soit son peuple. »

Ogden a été amené à examiner l’emploi de l’indicatif inaccompli de la racine hyh et à discerner encore trois niveaux à partir desquels il a conclu que hyh était employé principalement avec fonction d’indicateur temporel. Cet emploi est présent tout au long des textes bibliques.

« Cette déclaration de Ogden est en général correcte, mais elle est erronée en ce qui concerne Exode 3,14. Il est clair que ’ehyeh’aser’ehyeh’ est plus qu’une simple ouverture sur le futur, bien que cet aspect ne soit pas oblitéré. De même, le sens d’existence, bien que présent aussi dans le Nom, n’est pas suffisant. On peut aussi considérer le sens donné par la traduction grecque (Septante) [22] : ‘Je suis celui qui est’ (ego eimi ho ôn), par opposition à ceux qui ne sont pas (Es.,43,10) ou qui sont du néant (Es.,41,24), bien qu’il ne rende pas le sens fondamental de l’expression hébraïque. C’est une concession outrée à l’ontologie hellénistique. August Dillmann[23] a essayé de corriger cela en ajoutant que Dieu est der Seiende, car il est actif, vivant.      

Cette note est marquée avec une force renouvelée par N.M. Sarna[24] pour qui le nom de Dieu souligne son Etre mais pas en opposition avec le non-être. L’Etre de Dieu souligne sa Présence active, dynamique. ‘La personnalité divine ne peut être connue qu’aussi loin que Dieu choisit de se révéler et elle ne peut être vraiment caractérisée que par elle-même, non par analogie avec quelque chose d’autre. C’est la contre-partie articulée du spectacle du feu du Buisson ardent, feu qui se crée et se perpétue lui-même’[25]. »

La nouvelle étape proposée à Israël pour sa libération et la proclamation du Nom qui s’y rattache, ont créé un contexte nouveau dont la  recherche philologique s’est inspirée.

« Le lien intime entre le tétragramme d’une part, et l’action divine de l’autre, indique dans quelle direction la recherche philologique doit aller. Un agent est désigné, dont l’œuvre est actualisée dans l’exode d’Israël hors d’Egypte. Quelle que soit la profonde signification du tétragramme, ‘Israël’ est le nom du Tu en dialogue avec le Je divin.      

Le nom YHWH est clairement orienté vers l’action et n’est pas imaginé d’une manière conceptuelle. Autrement dit, le tétragramme ne peut être réduit à une formule dogmatique-philosophique. D’ailleurs, ‘le jeu de mots sur le nom de Dieu (’ehyeh-yahweh) confirme la connexion entre nom et signification’, écrit Brevard Childs[26]. Il ajoute que la paronomase n’indique pas l’indéfini mais l’actuel (Cf. Exode 3,19[27]). La question de Moïse exprimée en Exode 3,13 avait constitué son dernier retranchement devant sa vocation. Alors, il défie Celui qui s’est révélé lui-même comme le Dieu des ancêtres de se faire le héraut d’un nouveau programme d’action en devenant différent de ce qu’il a été jusqu’à présent. Si Moïse retourne en Egypte et annonce la libération à ses compatriotes israélites, sa rhétorique doit être assortie d’un nouveau mode de révélation divine. Il n’y a pas de doute que le peuple en Egypte ‘cherche à connaître cette nouvelle relation [de Dieu] avec eux. Auparavant son rapport avec eux était en tant que Dieu de leurs ancêtres. Que sera-t-il pour Israël maintenant ?[28]’. 

La révélation du Nom, par sa nature même, en souligne l’exclusivité. Une telle exclusivité divine fonde à son tour l’exclusivité du récipiendaire, car la relation entre les deux est une relation de Je-et-Tu. Celui qui fait face à Dieu reçoit un nom propre dans la relation avec un Dieu qui n’est pas lui-même anonyme. ‘Israël’ est déjà descriptif d’une réalité transfigurée, connue auparavant et superficiellement comme étant Jacob, mais actualisée dans le face-à-face avec Dieu ? Le nom de Dieu trouve écho dans le nom de l’homme/la femme (Esaïe 45,3)[29]. La face de Dieu donne une face à l’être humain.

C’est pour cette raison que la révélation à Moïse en Madian trouve sa signification dans un mandat prophétique qui lui est adressé à la deuxième personne du singulier, ‘à toi’. La première personne du singulier de Dieu – ‘Mon Nom’ (v.15), ‘ehyeh’ (v.14), ‘le souvenir de Moi’ (v.15)… – est unie à l’humain à la deuxième personne du singulier : ‘tu diras…’.

Le plus grand des paradoxes est que Celui qui a seul le droit de dire ‘Je’, et qui est l’unique ‘ehyeh’, a un nom qui inclut une deuxième personne, un ‘tu’. Le nom est révélé à un ‘tu’ qui y est lui-même serti, disons dans le ’aser (que/qui) qui constitue le lieu de chute et de rebondissement de l’‘être’ divin/‘celui qui se passe’/ ‘celui qui arrive’ ! 

Théophanique et performatif est le Nom.

« Ainsi, le Nom fait naître la reconnaissance et la louange, car ceux qui le reçoivent ne sont pas simplement mis dans le secret divin, mais sont les objets d’un acte de salut. ’ani hu’YHWH (c’est moi qui suis YHWH) va bien plus loin qu’une déclaration rhétorique, la formule révèle le sens ultime de l’événement rédempteur.

Ainsi, le nom n’est pas in-temporel, anhistorique, axiome abstrait concernant l’essence divine. Dieu dit ’ehyeh et le temps inaccompli nous aide à voir l’action en cours. Ce n’est pas une question d’essence divine, mais une promesse que Dieu, si l’on peut dire, ‘se tient ou tombe’ avec son peuple, et tout d’abord avec Moïse qui va retourner en Egypte où sa tête est mise à prix[30].

Une telle fonction performative du nom devient particulièrement claire quand on traduit la préposition eh, qui introduit la cause de la reconnaissance par quelque chose comme ‘du fait que je…, en ce que je (vous ai libérés)…’[31]. Connaître YHWH est, en fait, ‘reconnaître ses actes bienveillants pour Israël, spécialement l’acte de l’Exode ( cf. Lévitique 23,43)’[32]. YHWH signifie sauveur (Exode 34,6.7 ; Esaïe 43,11-13). Psaume 138,2 affirme clairement que le nom de Dieu est promesse[33]. Il promet une direction historique bienfaisante dont la prémice, à savoir l’Exode, constitue à la fois le commencement et la fin, son point culminant et la figure des choses à venir au moment de l’‘eschaton’. L’événement en question est kat’exochên, paradigmatique (…).

Avec son nom Dieu révèle son ‘mystère le plus personnel[34]’. Le nom comprend le mystère inattaquable de sa singularité et de son originalité.   

Une conclusion nécessaire est que, puisque le nom même est un événement symbolique, sa force ne dépend pas d’une compréhension correcte de l’étymologie de la racine hyh et de ses formes grammaticales présentes dans ehyeh et yhwh . En fait, dit W. Zimmerli, toute tentative de comprendre la déclaration de reconnais- sance en partant du nom ‘YHWH’ est vouée à l’échec à cause du mystère qui ne peut pas être réduit à une définition – et la direction irrévocable du processus d’introduction de soi-même[35]. La reconnaissance [ne saurait] venir d’une réflexion conceptuelle[36], mais d’une rencontre avec la manifestation de lui-même par YHWH. Contrastant avec l’absence de médiation vis-à-vis de Moïse, la présentation de soi divine est transmise au peuple par l’émissaire de Dieu proclamant soit le jugement divin, soit les actes divins demandant une humaine décision. De même la connaissance/reconnaissance de la souveraineté de Dieu n’est pas une connaissance métaphysique. Le tétragramme n’est pas une invitation à spéculer au sujet de l’essence de Dieu. Il ne fait pas référence à la causa sui divine ; au contraire, il prend toujours place dans des évènements concrets. Et la reconnaissance humaine, sur le modèle de l’action divine, ‘n’est pas un événement intime, réflexif, spirituel, mais plutôt se manifeste en une prosternation ouverte et publique devant YHWH’[37]. Selon H. Gese[38], ‘[Dieu] ne se révèle pas in se mais comme soi-même.’    

Il n’en [est pas moins vrai] que le nom renvoie à un sens nuancé transmis par le verbe hébreu hyh. Du moins, la tradition a, de temps immémorial, compris ainsi son message. ‘YHWH’, Dieu en tant qu’agent, signale un type d’action que la racine hyh a été capable d’exprimer. Peut-on comprendre davantage le sens de cet emploi ? Je pense que oui. Mais avant de tirer quelque ferme conclusion à cet égard, il faut se souvenir que Moïse, comme premier bénéficiaire du tétragramme, ou les prophètes et les prêtres comme bénéficiaires seconds, ne sont pas des récepteurs d’un don accordé par un Communicateur. Ils font partie eux-mêmes de la communication. Moïse, en tant que prototype, est appelé à être ‘Dieu pour Aaron’ et ‘pour le Pharaon’(Exode 4,15-16 ; 7,1). La déclaration de reconnais- sance dès lors inclut les émissaires de YHWH parce que YHWH agit à travers des véhicules humains. Les témoins sont invités à reconnaître non seulement ‘YHWH hu’ (lui [seul] est YHWH), mais aussi qu’il y a eu un prophète parmi eux’ (Ezéchiel 2,4s ; 33,33). Au risque de me répéter, il faut donc s’attendre à ce que, dans la révélation à Moïse de ’ehyeh’aser’ehyeh’, Moïse lui-même soit présent ! Je soutiens que, avec la révélation de son nom YHWH, Dieu dit de lui-même quelque chose comme : ‘Avec toi Moïse – et avec Israël à travers l’histoire – je me tiens ou je tombe !’ La révélation est la proclamation que Dieu s’est engagé totalement dans l’histoire de son émissaire. Même le jugement et la condamnation de son peuple doivent être considérés dans la perspective de l’engagement personnel de Dieu. »    

Le caractère duel du Nom de Dieu avec la tension entre passé et futur, entre connu et inconnu, entre ce qui a été déjà vécu et ce qui est désiré, apparaît encore entre bénédiction et malédiction.

« La révélation du Nom de Dieu est dialectiquement une révélation de l’incognito de Dieu. En accord avec cette dialectique, la promesse transmise par le nom est la face d’une médaille dont le revers est châtiment. Le nom est bénédiction et malédiction, bienfaisant et malfaisant à l’image de la colonne de nuée qui marchait devant l’armée israélite dans le désert et était à la fois lumière et ténèbre (cf. Exode 14,19s). Le nom implique aussi punition à la fois des ennemis d’Israël et d’Israël lui-même (Exode 8,9 ; 9,14-16. 29 …). Ce second aspect, qui doit être considéré dans le contexte des polémiques contre les autres dieux (comme dans Exode 20,2s), doit être mentionné ici pour être complet, bien qu’il ne soit pas souligné dans notre texte focal d’Exode 3,14 (mais voir Exode 6,1. 6…). »  

La révélation du Nom à Moïse ne doit pas être considérée à part d’autres textes qui eux aussi contribuent au contexte linguistique et idéologique d’Exode 3.

« W. Zimmerli, en particulier , a étudié avec soin la formule biblique récurrente  ‘Je suis YHWH ; de cette étude on peut dégager différents types de formules :

Formules déclaratives de reconnaissance et de légitimité.

Dans leur forme la plus simple comme la plus développée, elles sont spécialement illustrées dans la littérature sacerdotale (Ezéchiel ; P ; H). La plus courte se trouve dans Lévitique 18,5.21[39]. Dans Lévitique 18,2 (H) ’ant yhwh’eloheikhem (Je suis 

YHWH votre Dieu) est suivi d’une parénèse (v.3-5), puis de commandements apodictiques (v.6s). Mais la formule apparaît aussi en conclusion d’autres péricopes dans le Lévitique 18,26. Elle est portée par l’acte d’Exode (Lévitique 19,36), la promesse de la terre (25,38), la libération de l’esclavage (26,13), la séparation des autres peuples (20,24), etc.

Dans Ezéchiel, la formule pure apparaît seulement dans le chapitre 20. Ailleurs, elle est devenue l’une des composantes d’une déclaration plus développée réclamant fidélité à Dieu : ‘Vous connaîtrez que je suis YHWH.’Cette dernière est appelée ‘déclaration de reconnaissance’ par Zimmerli ; elle vient en réponse à l’introduction de Dieu par lui-même ou sa formule de présentation de soi’.

Dans Exode 6 et Ezéchiel 20, ‘le nom de YHWH [est] un événement intrinsèque à l’introduction de YHWH par lui-même dans son nom’, cf. Ezéchiel 20,44[40]. Le fait que la formule soit souvent placée à la fin de l’exposé montre que c’est une formule de légitimité. »

Formule prescriptive.

Significativement, dans Ezéchiel 20, le nom entraîne une conséquence prescrip- tive. Après la promesse vient le commandement  (Ezéchiel 20,7). De même, dans Exode 20,2 et 5, la formule entoure les deux premiers commandements dans une forme duelle, jetant ainsi ‘le fondement des commandements mêmes’ dit Zimmerli.

A ce point de notre étude il faut souligner que la formule de présentation de soi est à la base du Code de sainteté et du Décalogue. Ceci est aussi clair lorsque nous nous tournons vers les Psaume 50 et 81, c’est-à-dire vers la mise en place liturgique des Dix Paroles[41]. Dans ces Psaumes, Dieu se présente lui-même à la communauté comme celui qui commande (comme dans Exode 19 ; 20 ; Deutéro- nome 5). Il y a, dit Zimmerli, une ‘cohésion solide de la formule […] avec la proclamation de Maximes’.

Dans la perspective de cette connexion entre le nom divin et la prescription, la formule de présentation de soi est placée dans un contexte d’interdiction de toute représentation du divin. A première vue, une telle iconophobie peut être interprétée comme un désir d’incognito de la part de Dieu. Mais, au contraire, la révélation du nom est donnée par un Dieu aniconique mais qui désire être acces- sible et connu[42]. La situation qui en résulte est, cependant, paradoxale. Toutes représentations du Dieu vivant sont défendues en Israël, car ici la relation médiate à la troisième personne à l’aide d’une représentation est remplacée par la relation immédiate à la deuxième personne sans médiation. Mais alors, au danger d’objectiver le divin  a été substitué celui de dévaluer la relation humaine avec un Dieu familier. Par conséquent, les deux premiers commandements excluant rivaux et idoles sont suivis par un troisième considérant le dialogue approprié avec Dieu en tant que Tu. Pour Anthony Phillips[43], cette prescription n’est pas contre le blasphème, ni contre le faux témoignage, car la formule elle-même de témoignage contient une malédiction, elle ne peut avoir rapport au syncrétisme, car c’est déjà inclus dans le premier commandement. Il reste la magie, un domaine de réalité très substantiel dans l’ancien Israël. De toute façon, le Décalogue, avec son insistance sur l’honneur qui doit être rendu à Dieu et le respect envers Lui et le prochain, doit être compris comme étant une explication du nom. Il ne peut y avoir aucune séparation dans la révélation entre le divin lui-même et la volonté divine. »

La formulation du Nom divin apparaît étroitement liée au Sinaï, en tant qu’évènement paradigmatique par excellence.   

« Au-delà du mandat prophétique et de la promesse divine d’agir dans l’histoire en faveur d’Israël, deux autres éléments appartiennent au contexte de la formule de présentation de soi : la prescription dans sa forme apodiptique et l’oracle sacerdotal du salut cultuel. Ces deux éléments sont rassemblés dans la catégorie ‘Sinaï’. A ce propos, un aspect a déjà été souligné : le Décalogue est un commentaire légal du Nom divin.

Nous devons maintenant nous tourner vers le Sinaï en tant qu’événement para- digmatique par excellence. Il est remarquable que la formule que nous étudions soit étroitement liée avec cet événement, symbole de tous les évènements subséquents de l’histoire du salut, destinés, comme le montre l’interprétation qui l’accompagne, à provoquer une décision chez leurs témoins. ‘Le symbole laisse à penser’ dit Paul Ricoeur. Le Sinaï et les symboles qui s’y rattachent font que l’on s’ouvre à la reconnaissance et l’engagement. Les évènements symboliques ou référentiels appartiennent au domaine sacerdotal ou prophétique[44] ; ils font aussi partie des ‘situations juridiques où des décisions sont prises sur la base de preuves’.

Celles-ci conduisent à une décision critique entre deux possibilités. Ou bien on rejette la condamnation et ses attendus, ou bien on reconnaît que Dieu est le Seigneur, YHWH ; Celui qui se montre à la hauteur de son nom. »

Le Nom, loin d’être une déviation dans la trajectoire entre le divin et l’humain, doit être compris comme la communication suprême.  

« Par conséquent , quand Moïse prononce le nom en présence des Hébreux en Egypte, il leur donne une sorte d’immédiateté dont il a eu lui-même le privilège. La relation Je-Tu ouverte par le nom demande la reconnaissance sur la base du signe que le nom lui-même constitue.

Le dialogue avec Moïse au Buisson ardent et la révélation du nom représentent un événement entièrement original dans le contexte général de la proclamation suivie par une reconnaissance collective ou individuelle. Une telle déclaration de reconnaissance reste de toute façon dans le contexte d’un signe de preuve. Dans la sphère interpersonnelle, on trouve un tel contexte dans les procédures de tribunaux concernant la culpabilité ou l’innocence sur la base d’évidences ; et dans les batailles, de telles preuves rendent manifestes la souveraineté de YHWH et la créance de ses envoyés.

Mais en ce qui concerne l’expression du nom , il contient en lui-même tout ce qui doit être montré et dit ; le nom est signe et son interprétation, sans médiation, sans hiatus entre signe et décodage, entre événement et signification. »

Le Nom, quel que soit le sens attribué au tétragramme, renvoie à une histoire commune à Dieu et à l’homme, à un devenir de Dieu avec Israël

« Le Dieu des Ancêtres qui s’est manifesté à eux comme El Shaddaï (Exode 6,2)[45], à Moïse à Madian, vient révéler ‘son devenir avec’, si l’on peut dire[46], et, en fait, sa dépendance par rapport à la relation d’Israël avec lui !

Israël ne se sentit jamais capable de sonder la profondeur d’une telle intimité avec son Dieu . Jamais il ne put comprendre un tel mystère. Tous les genres littéraires bibliques montrent qu’Israël, dans son interprétation de l’histoire du Salut ou dans sa délibération plus a-temporelle, a pour seule ambition d’épeler le Nom divin. La réflexion d’Israël se fit sur deux axes parallèles : l’axe de l’identité humaine, établie et accomplie dans la relation avec YHWH, l’autre de l’identité divine, non moins établie et accomplie dans la relation avec Israël. On comprend aisément que les textes soient beaucoup plus sobres et prudents en ce qui concerne la seconde direction de pensée. Ils excluent toute irrévérence en exaltant, célébrant et bénissant le nom de Dieu. La louange est la réponse humaine appropriée à la révélation, plutôt que la spéculation sur le comment Dieu s’est rendu dépendant de l’être humain pour être YHWH, comme l’être humain est dépendant du divin pour être ‘l’image de Dieu’. Dans la mesure où la louange est à ce point réfléchie, elle donne naissance à la notion de berit, alliance, qu’Osée, par exemple, présente comme équivalent à une union matrimoniale[47].    

En conséquence, la plupart des spéculations philosophiques sur le divin doivent être révisées (…). L’omnipotence de Dieu est plus l’expression de la prière, l’espérance, la foi, et l’amour d’Israël qu’une déclaration objective. Il en est de même de la transcendance et de l’éternité, ou de n’importe quel autre attribut divin découvert spéculativement. Certes, Dieu est transcendant et éternel, mais il est ceci ou cela  ‘dans la mesure’ – si l’on peut dire – où son amour, son souci et son engagement transcendent et surpassent l’irréligion humaine.

Une autre façon d’exprimer cela est de qualifier les attributs divins d’‘eschato- logiques’. A l’eschaton , Dieu sera Dieu, (cf. Esaïe 11,9 ; Ps. 110,1 ; 1 Corinthiens 15,24-28…). Entre-temps, Dieu établit sa souveraineté, son royaume sur la terre, ’ehyeh’aser’ehyeh’, dit-il et la forme inaccomplie du verbe doit être prise sérieusement . Je serai ce que je serai ; je deviendrai ce que je deviendrai. Il y a ici un drame mystérieusement dense concentré sur sur le pronom relatif ’aser’ (que), car son contenu dépend essentiellement de la qualité de l’histoire que Moïse et son peuple lui donneront. »

En quoi l’exode d’Egypte est un événement bien diffèrent pour Jérusalem et pour Athènes.

« Dans la conscience d’Israël, l’Exode inaugure non seulement son histoire comme peuple (pour la première fois Israël est appelé un ’am, une nation), mais aussi la rédemption du monde. L’exode d’Egypte conduit à la terre promise, microcosme et ‘tête de pont’ d’où toute la création a commencé sa transfiguration en royaume de Dieu . L’Exode est donc l’événement par excellence, le jour historique de la victoire, le jour où le monde est changé en lui-même par l’éternité.

Pour l’esprit grec, ‘le monde est éternel. Il ne peut avoir un but. Il peut seulement être […]. D’une façon générale, ce qui est important pour les Grecs, c’est ni de devenir, ni de posséder, ni d’être capable, ni de vouloir, mais d’être’[48]. José Faur ajoute : ‘Par conséquent les phénomènes physiques ne peuvent pas avoir de signification’[49]. C’est précisément ici que la distinction entre Jérusalem et Athènes est la plus forte, au sujet du problème métaphysique. Alors qu’un juif profondément influencé par l’hellénisme comme Moses Mendelssohn propose de traduire Exode 3,14 par ‘Je suis l’Etre, qui est éternel’, Maïmonide nous demande de penser à Dieu comme étant un agent avec un but, et non pas comme un être avec une essence (Guide 1,54-58).  Dieu est ce que Dieu fait, dit-il. »   

Pour ne pas donner aux nations du monde l’occasion de dire qu’il y a deux autorités [les Ecritures disent] : Moi YHWH suis votre Dieu.

« S’il y avait encore un résidu de doute au sujet de la force dynamique du tétragramme, tout scepticisme serait dissipé dès que nous nous tournons vers la lecture traditionnelle d’Exode 3, vers sa trajectoire.

Hayah, à la base du Nom, signifie dans la tradition aggadique, être avec, être comme. Dans Midr. Aggadah, on lit : ‘Comme tu es avec moi, ainsi je suis avec toi’. Exode R 3,6 dit : ‘Moi, qui d’habitude étais celui qui est, suis Celui qui sera’, car ’ehyeh apparaît trois fois dans le texte sacré. De même , au 9ème siècle , Saada Gaon souligne l’éternité de Dieu : ‘car il est le premier et le dernier’ (Esaïe 44,6 ; cf. Apocalypse 1,4 voir 4,8). Mekhilta Bahodesh 5 sur Exode 20,2 se demande : ‘Pourquoi les Dix Paroles [le Décalogue] ne sont-elles pas au commencement de la Tora ? Parce que Dieu voulait tout d’abord établir la confiance par ses dons gracieux envers Israël ; ensuite il dit : Je régnerai sur vous, et ils ont répondu : ‘oui’… Pour ne pas donner aux nations du monde l’occasion de dire qu’il y a deux autorités [les Ecritures disent] : ‘Moi YHWH suis votre Dieu – J’étais en Egypte, j’étais à la Mer [Rouge], j’étais au Sinaï, j’étais dans le passé, je serai dans le futur, je suis dans ce monde et je serai dans le monde à venir !’ comme il est écrit [la Mekhilta cite Deutéronome 32,39 ; Exode 46,4 ; 44,6 ; 41,4].’

Comme on pouvait s’y attendre, nous retrouvons la même situation dans le Targum. Le texte du Tg Onkelos est particulièrement intéressant [dans une version connue seulement de Nahmanide] :’Je suis comme celui avec qui je suis’.

Exode 3,14b dans Tg Yerushalmi I devient : ‘Moi qui étais, qui suis, et qui serai, m’a envoyé vers vous’. Dans Tg Yerushalmi II (fragment), on lit : ‘Celui qui dit au monde […] sois ! et il est, et celui qui lui dira : sois ! et il est […] est Celui qui m’a envoyé vers vous.’   

Mentionnons aussi les remarques de Nahmanide qui suivent : le miracle n’est pas dans le Nom en lui-même, ‘il est plutôt dans l’invocation du Nom […] A mon avis, les Israélites d’autrefois ne doutaient pas de l’existence du Créateur […]

Dieu dit (à Moïse), ‘Voici ce que tu diras aux enfants d’Israël : ehyeh m’a envoyé vers vous’. Ceci afin que Moïse invoque devant eux un nom qui est unique, incomparable, et ainsi leur donne aussi une leçon sur la singularité de Dieu’. Le Zohar Wayyigra (14ème siècle) dit : Ehyeh c’est l’occultation suprême…’Je, c’est Moi-même’…’aser’ehyeh’, c’est moi qui suis sur le point de me révéler Moi-même… Ehyeh est ‘la mère qui devient enceinte’… YHWH est la période florissante du Tout. Auparavant, Rashi avait paraphrasé ’ehyeh’aser’ehyeh’ ainsi : ‘Je serai avec eux dans ce malheur comme je serai avec eux dans l’esclavage envers d’autres empires…[50] » 

Dans les Ecritures hébraïques, la reconnaissance du Nom n’est pas seulement attendue d’Israël, c’est aussi le but eschatologique de la révélation divine en Sion : ‘Lâchez les armes ! Reconnaissez que je suis Dieu ! Je triomphe des nations, je triomphe de la terre’ (Ps.46,11 TOB)[51].

Réinterprétations néo-testamentaires.

« C’est en la venue du Christ que l’Eglise des premiers siècles vit l’accomplis- sement de la promesse contenue dans le nom de Dieu. Le factum externum qui amène la déclaration de reconnaissance est maintenant le Verbe devenu chair.

1 Corinthiens 12,3b déclare avec audace : ‘Nul ne peut dire – Jésus est kurios (Seigneur) – si ce n’est par l’Esprit Saint’ (cf. 1 Jean 4,2s : ‘… tout esprit qui confesse Jésus-Christ venu dans la chair est de Dieu…’, TOB). En parallèle avec Tg Yerushalmi I sur Exode 3,14b qui vient d’être mentionné, Apocalypse 1,8 met dans la bouche de Dieu :’Je suis  […] celui qui est, qui était et qui vient’, une idée déjà exprimée en Esaïe 4,6 : ‘Le premier et le dernier’.

On peut trouver un écho de tout ceci dans la traduction d’Exode 3,14, par Philon le Juif : ‘Je suis celui qui est’, complétée par ce commentaire : ‘Aucun nom ne peut convenablement être employé à propos de Moi, à Qui seul l’existence appartient’(Vita Mosis 1,75).          

Le Nouveau Testament, conformément à son propos de révéler l’accomplissement eschatologique de l’ancienne promesse, vit cette connaissance du Dieu vivant s’épandre sur le monde entier avec la venue du Christ. Aucun texte, probablement, ne surpasse en clarté et fermeté la réinterprétation, d’un point de vue christologique, de la reconnaissance comme Jean 17,16 : ‘J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as tirés du monde pour me les donner […] Ils savent maintenant […] ils ont véritablement connu que je suis sorti de toi’ (TOB). » 

LA REVELATION DANS LA TRADITION JUIVE

selon Emmanuel Lévinas (L’Au-delà du verset[52])

LE CONTENU ET LA STRUCTURE DE LA RÉVÉLATION

Sur quoi la révélation juive repose-t-elle ?

« Si aucun dogmatisme du Credo ne résume le contenu de la Révélation, pour les juifs, l’unité de cette révélation s’exprime concrètement sous une autre forme. En effet, avec la distinction entre Révélation écrite et Révélation orale spécifique au judaïsme, se croise la distinction entre les textes et les enseignements relatifs à la conduite et formulant des lois pratiques, la Halakha – la Thora proprement dite où l’on peut reconnaître ce que M. Ricoeur qualifiait de prescriptif – et, d’autre part, les textes et les enseignements, d’origine homilétique qui, sous formes d’apologues, de paraboles, et d’amplification des récits bibliques, représentent la partie théologico-philosophique de la tradition et que l’on réunit sous le concept d’Agada. La Halakha donne à la Révélation juive, écrite et orale, sa physionomie propre et a maintenu – orthopraxie – l’unité du corps même du peuple juif à travers la dispersion et l’Histoire. La révélation juive est d’emblée comman- dement et la piété y est obéissance. Mais obéissance qui, tout en acceptant des arrêts pratiques, n’arrête pas la dialectique appelée à les fixer. Celle-ci continue et est valable par elle-même dans son style de discussion ouverte[53].

La distinction Loi orale-Loi écrite, d’une part et la distinction Agada-Halakha, de l’autre, constituent comme les quatre points cardinaux de la Révélation juive. Les motivations de la Halakha restent, répétons-le, à l’état de discussion. Elle s’y maintient parce que, à travers la discussion des règles de conduite, tout l’ordre de la pensée est présent et vit. C’est un accès à l’intellectuel à partir de l’obéissance et de la casuistique qu’elle comporte. Et cela est très significatif : la pensée issue du prescriptif va au-delà du problème du geste matériel à accomplir, bien que, en pleine dialectique, elle énonce aussi quelle est la conduite à tenir, quelle est la Halakha.    

Les antinomies de la dialectique qui sont tout l’ondoiement de la ‘mer du Talmud[54]’ s’accompagnent de ‘décisions’ ou d’‘arrêts’. Et très tôt après la clôture du Talmud apparaissent des décisionnaires qui fixent la Halakha concrète. Œuvre de plusieurs siècles qui aboutit à un code définitif intitulé Choulkhan Aroukh, ‘Table dressée’, où la vie du fidèle est dressée dans les moindres détails.

[Ainsi] la révélation juive repose sur la prescription, la mitsva, dont le rigoureux accomplissement passait aux yeux de saint Paul pour joug de la Loi. C’est par la Loi en tout cas, nullement ressentie comme stigmate d’un quelconque esclavage, que se fait l’unité du judaïsme, bien distincte, sur le plan religieux, de l’unité doctrinale quelconque ou qui, en tout cas, est la racine de toute formulation doctrinale. » 

Un premier étonnement de Rachi.

« Son premier commentaire rabbinique sur lequel s’ouvrent les ‘éditions juives’ du Pentateuque, est un étonnement provoqué par le premier verset de la Thora : pourquoi commencer par le récit de la Création, alors que les prescriptions commencent au verset 2 du chapitre XII de l’Exode : ‘Ce mois sera pour vous le commencement des mois’ ? 

Le commentateur va alors s’efforcer d’expliquer la valeur religieuse du récit de la Création. »

Sur quoi l’unité du peuple juif repose-telle ?

« C’est la pratique qui fait l’unité du peuple juif. Dans le judaïsme actuel, cette unité est encore agissante par la conscience de son ancienneté et reste vénérable même quand la Loi proprement dite est mal observée.

Il ne serait pas inexact d’affirmer que c’est de cette unité conférée aux juifs par la Loi autrefois observée par tous [comme attesté par saint Paul], que se nourrissent, à leur insu, les juifs détachés des pratiques quand ils se sentent solidaires du destin juif.   

Il convient enfin de faire remarquer qu’à l’accomplissement des commandements s’égale, par sa valeur religieuse, l’étude des commandements – l’étude de la Thora, c’est-à-dire la reprise de la dialectique rabbinique –, comme si dans cette étude l’homme était en contact mystique avec la volonté divine elle-même.

L’acte le plus haut de la pratique des prescriptions, la prescription des prescriptions qui les vaut toutes, c’est l’étude même de la Loi (écrite ou orale). »   

Où la métaphysique et l’anthropologie philosophique du judaïsme se trouvent-elles constituées ?.

« A côté des textes de la Halakha qui unissent les prescriptions de la Loi, et où des lois rigoureusement éthiques voisinent avec des prescriptions rituelles et qui situent d’emblée le judaïsme comme monothéisme éthique, les apologues et les paraboles appelés Agada constituent la métaphysique et l’anthropologie philosophique du judaïsme. A l’Agada sont aussi consacrés des recueils spéciaux, d’ancienneté et de qualité diverses, mais sur lesquels, comme sur une sagesse du même ordre, et sans avoir aucune conscience de la perspective historique, a vécu le judaïsme uni par la Halakha.

Pour la connaissance du système pensé sur lequel le judaïsme a vécu comme unité pendant des siècles de son intégrité religieuse  (et non pas pour la connaissance de sa formation historique), il faut considérer comme simultanés ces textes d’époques diverses…Ce que nous avons appelé plus haut le miracle de la confluence prend une voix que l’on reconnaît aussitôt et se répercute dans une sensibilité et une pensée qui l’entendent comme s’ils l’attendaient.» 

Comment définir le contenu de la Révélation ?

« Nous voulons, d’une façon empirique, énumérer quelques relations qui s’établissent entre Celui dont la Bible porte le message, d’une part, et le lecteur de l’autre, quand il consent à prendre pour contexte du verset examiné le tout du texte biblique, c’est-à-dire quand il lit la Bible à partir de la tradition orale.  

Ce sera sans doute une invitation à suivre en tout la voie la plus haute, à n’avoir de fidélité que pour l’Unique, à se méfier du mythe  par lequel s’impose le fait accompli, la contrainte de la coutume et du terroir, et l’Etat machiavélique et ses raisons d’Etat.

Mais suivre le Plus-Haut, c’est aussi savoir que rien n’est supérieur à l’approche du  prochain, au souci pour le sort de la ‘veuve et de l’orphelin, de l’étranger et du pauvre’ et qu’aucune approche les mains vides n’est approche.

C’est sur la terre parmi les hommes que se déroule aussi l’aventure de l’Esprit. Le traumatisme que fut mon esclavage en pays d’Egypte constitue mon humanité même, ce qui me rapproche d’emblée de tous les problèmes des damnés de la terre, de tous les persécutés, comme si dans ma souffrance d’esclave je priais de prière pré-opérationnelle et comme si cet amour de l’étranger était déjà la réponse qui m’est donnée à travers mon cœur de chair. En la responsabilité pour l’autre homme réside mon unicité même ; je ne saurais m’en décharger sur personne, comme je ne saurais me faire remplacer pour la mort ; l’obéissance au Plus-Haut signifie précisément cette impossibilité de me dérober ; par elle, mon ‘soi’ est unique. Etre libre c’est ne faire que ce que personne ne peut faire à ma place. Obéir au Plus-Haut, c’est être libre.

Mais l’homme est aussi l’irruption de Dieu dans l’être ou l’éclatement de l’être vers Dieu ; l’homme est rupture de l’être où se produit le donner, les mains pleines au lieu de luttes et de rapines ; d’où l’idée d’élection qui peut se dégrader en orgueil mais qui originairement exprime la conscience d’une assignation irrécusable dont vit l’éthique et par laquelle l’irrécusable de l’assignation isole le responsable. ‘C’est vous seuls que j’ai reconnus entre toutes les familles de la terre, c’est pourquoi je vous compterai toutes vos fautes (Amos, III, 2)’. L’homme est interpellé dans le jugement de la justice qui reconnaît cette responsabilité ; la miséricorde – les rahamim – le frémissement des entrailles utérines, où l’Autre est en gestation dans le Même, la maternité en Dieu, si l’on peut dire, atténue les rigueurs de la Loi (sans la suspendre en principe ; mais elle peut aller jusqu’à la suspendre en fait) ; l’homme peut ce qu’il doit, il pourra maîtriser les forces hostiles de l’Histoire  et réaliser un règne messianique annoncé par les prophètes ; l’attente du Messie est la durée même du temps ; ou l’attente de Dieu ; mais alors l’attente n’atteste plus une attente de Godot qui ne viendra jamais, il atteste la relation avec ce qui ne peut entrer dans le présent, lequel est trop petit pour l’Infini.

Mais c’est peut-être dans un ritualisme réglant tous les gestes de la vie quoti- dienne, dans le fameux ‘joug de la Loi’, que réside l’aspect le plus caractéristique de la difficile liberté juive : dans le rituel, il n’y a rien de numineux, aucune idolâtrie ; c’est une distance prise dans la nature à l’égard de la nature, et peut-être ainsi précisément l’attente du Plus-Haut qui est une relation – ou, si l’on préfère, une déférence – à Lui, une déférence à l’au-delà qui engendre ici le concept même d’au-delà ou d’à-Dieu. »      

LE FAIT DE LA RÉVÉLATION ET L’ENTENDEMENT HUMAIN

L’ordre du monde et la Révélation

« Comment un juif peut-il s’expliquer ‘le fait même de la Révélation dans son extraordinaire’, alors que la tradition (selon les Ecritures prises à la lettre) lui présente comme venant d’en dehors de l’ordre du monde ? »

Quelques pistes

« Tenons-nous-en, pour un moment, au sens littéral. Voici quelques notations significatives. La Bible elle-même nous conte le surnaturel de son origine. Il y eut des hommes qui entendirent la voix céleste. La Bible nous met aussi en garde contre les faux prophètes. De sorte que la prophétie se méfie de la prophétie et qu’un risque est couru par celui qui s’attache à la Révélation. Là réside un appel à la vigilance qui, sans doute, appartient à l’essence de la Révélation ; elle ne se sépare pas de l’inquiétude. Autre point important : en rappelant dans Deutéronome IV, 15 l’Epiphanie sinaïque, Moïse dit : ‘Prenez donc bien garde à vous-mêmes ! Car vous n’avez vu aucune figure le jour où le Seigneur vous parla sur l’Horeb du milieu du feu.’ La Révélation, c’est un dire qui dessine, sans médiation, la droiture de la relation entre Dieu et l’homme. Dans Deutéronome V, 4 on lit : ‘Face à face, Dieu a parlé avec vous.’ Expressions qui autoriseront les docteurs rabbiniques à conférer la dignité prophétique à tous les israélites présents au pied du Sinaï et, ainsi, à suggérer qu’en principe l’esprit humain comme tel est possiblement prophète ! Voyez aussi Amos III, 8 : ‘L’Eternel Dieu a parlé, qui ne prophétisera pas ?’ Déjà dans l’âme humaine réside la réceptivité prophétique.   

La subjectivité, par sa possibilité d’écouter , c’est-à-dire d’obéir, n’est-elle pas la rupture même de l’immanence ? Mais le Maître de la Révélation insiste, dans le texte cité du Deutéronome, sur le fait que la Révélation est parole et point image offerte aux yeux. Et si, dans l’Ecriture, les mots désignant la Révélation sont empruntés à la perception visuelle, l’apparaître de Dieu se réduit à un message verbal (dvar élokhim) qui, le plus souvent est ordre. Le commandement plutôt que la narration constitue le premier mouvement allant vers l’entendement humain ; il est, de soi, le commencement du langage.

L’Ancien Testament confère à Moïse la dignité du plus grand d’entre les prophètes. Moïse entretient avec Dieu le rapport le plus direct appelé ‘face à face’ (Exode 33, 11) et, cependant, la vision du visage divin lui est refusée et, selon Exode 33,23)[55] seuls le ‘dos’ de Dieu sera montré à Moïse. 

Il n’est peut-être pas sans intérêt, pour la compréhension de l’esprit même du judaïsme, de dire la façon dont les docteurs rabbiniques interprètent ce texte : le ‘dos’ que vit Moïse de la cavité du Roc d’où il suivait le passage de la Gloire divine, ce ne fut que le nœud formé par les courroies des phylactères sur la nuque divine ! Un enseignement prescriptif ! Tant il est vrai que la Révélation tout entière se noue autour de la conduite rituelle quotidienne. Et dans la mesure où ce ritualisme, suspendant l’immédiateté des rapports avec le donné de la Nature, conditionne, contre la spontanéité aveuglante des Désirs, la relation éthique avec l’autre homme. Ainsi se trouvera confirmée la conception selon laquelle Dieu est accueilli dans le face à face avec autrui et dans l’obligation à l’égard d’autrui. 

Le Talmud maintient l’origine prophétique et verbale de la Révélation, mais insiste davantage sur la voix de celui qui [est à l’écoute]. Comme si la Révélation était un système de signes à interpréter par l’auditeur et, en ce sens, déjà livrée à lui. La Thora n’est plus au ciel, elle est donnée : ce sont désormais les hommes qui en disposent. Un apologue célèbre du traité Baba Metsia (59b) est sur ce point significatif :  Rabbi Eliezer , en désaccord avec ses collègues sur un problème de Halakha, est appuyé dans son opinion par des miracles et finalement par une voix ou un écho de voix céleste. Ses collègues refusent tous ces signes et cet écho de voix céleste sous l’irréfutable prétexte que la Thora céleste est, depuis le Sinaï, sur Terre et en appelle à l’exégèse de l’homme contre laquelle les échos des voix célestes ne peuvent plus rien. L’homme ne serait donc pas un ‘étant’ parmi les ‘étants’, simple récepteur d’informations sublimes. Il est à la fois, celui à qui la parole se dit mais aussi celui par qui il y a Révélation. L’homme serait le lieu où passe la transcendance, même si on peut le dire ‘être-là’, ou Dasein. Peut-être tout le statut de la subjectivité et de la raison doit-il être révisé à partir de cette situation. Aux prophètes succèdent, dans l’événement de la Révélation, le hakham : le sage, ou le docteur, ou l’homme de la raison, à sa façon inspiré, puisque porteur de l’enseignement oral : enseigné et enseignant , appelé parfois d’une façon suggestive talmid-hakham : disciple de Sage ou disciple-sage, recevant , mais scrutant le reçu. Les philosophes juifs du Moyen Age, notamment Maïmonide, font certes remonter la Révélation aux dons prophétiques. Mais, au lieu de les penser dans l’hétéronomie de l’inspiration, ils les rapprochent des divers degrés des facultés intellectuelles connues d’Aristote. L’homme maïmonidien, comme l’homme aristotélicien est ‘étant’ situé à sa place dans le cosmos. Il est une partie de l’être qui ne sort pas hors l’être et où ne se produit nullement la rupture du même, la transcendance radicale que l’idée d’inspiration et tout le traumatisme de la prophétie semblent comporter dans les textes bibliques. »            

Révélation et obéissance.

« Venons-en maintenant au problème principal qui réside dans la possibilité d’une rupture ou d’une percée de l’ordre fermé de la totalité, du monde, ou de l’auto-suffisance de son corrélatif, la raison ; rupture qui serait due à un mouvement venant du dehors mais rupture qui, paradoxalement, n’aliénerait pas cette auto-suffisance rationnelle. Si la possibilité d’une telle fissure dans le noyau dur de la raison pouvait être pensée, la part la plus importante du problème serait résolue. Mais la difficulté ne provient-elle pas d ‘entendre par raison le corrélatif de la possibilité du monde : une pensée égale à sa stabilité et à son identité ? Peut-il en être autrement ? Cherchera-t-on un modèle de l’intelligibilité dans quelque trauma- tisme de l’expérience où l’intelligence se romprait, affectée par ce qui dépasserait sa capacité ? Certes non. Sauf cependant s’il est question d’un ‘tu dois’ qui ne tient aucun compte de ce que ‘tu peux’. Ici, le débordement ne serait pas insensé. Autrement dit, la rationalité de la rupture ne serait-elle pas la raison pratique ? auquel cas le modèle de la révélation serait éthique.

[A partir de là] je me demande si le caractère primordial du prescriptif où, dans le judaïsme, le tout de la Révélation[56] se noue à la fois selon l’enseignement écrit (Pentateuque) et l’enseignement oral, ou si, comme dans la formule conclusive de l’Alliance : ‘Tout ce que l’Eternel a dit, nous le ferons et l’écouterons’[57], l’antériorité du terme évoquant l’obéissance sur celui qui exprime l’entendement, passe aux yeux des docteurs du Talmud pour le suprême mérite d’Israël – si tout cela n’indique pas la ‘rationalité’ d’une raison moins noyautée sur elle-même que la raison de la tradition philosophique ; rationalité qui serait précisément comprise dans sa plénitude à partir de l’irréductible ’intrigue’ de l’obéissance. Obéissance qui ne se ramène pas à un impératif catégorique où une universalité se trouve brusquement à même de diriger un vouloir ; obéissance remontant à l’amour du prochain : à l’amour sans éros, sans complaisance pour soi et, dans ce sens, à l’amour obéi ou à la responsabilité pour le prochain , à la prise sur soi du destin de l’autre ou à la fraternité. La relation avec l’autre homme placée au commencement !   

Vers elle d’ailleurs, par déduction régulière ou irrégulière, à partir de l’universalité de la maxime , se hâte Kant lui-même dans l’énoncé de la deuxième formule de l’impératif catégorique[58] . L’obéissance se concrétisant en relation avec autrui , indique une raison moins nucléaire que la raison grecque, celle-ci étant d’emblée corrélative d’un stable, la loi du Même. 

La subjectivité rationnelle qui nous a été léguée par la philosophie grecque – et ne pas commencer par ce legs ne signifie pas qu’on le refuse, que l’on n’y aura pas recours plus tard ni que ‘l’on sombre dans la mystique’ – ne comporte pas la passivité que, dans d’autres essais philosophiques, j’ai pu identifier à la responsa- bilité pour autrui. Responsabilité qui n’est pas une dette limitée par l’étendue d’un engagement activement pris, car d’une telle dette on s’acquitte alors que, à penser sans compromis, on n’est jamais quitte envers autrui. Responsabilité infinie et responsabilité contre mon gré : responsabilité d’otage.

A partir d’elle, il ne s’agit certes pas de déduire le contenu concret de la Bible : Moïse et les prophètes. Il s’agit de formuler une hétéronomie excluant l’asservissement, une oreille raisonnable, une obéissance qui n’aliène pas celui qui écoute, et de reconnaître dans le modèle éthique de la Bible la transcendance de l’entendement.  Cette ouverture sur une transcendance irréductible ne peut pas se produire dans la solidité et la positivité de la raison qui règne dans notre fonction philosophique, qui est commencement de tout sens, auquel tout sens doit revenir pour s’assimiler au Même, malgré toutes les apparences qu’il peut prendre d’être venu du dehors : raison où rien ne peut provoquer la fission dans la solidité nucléaire d’une pensée pensant en corrélation avec la positivité du monde, pensant à partir du grand repos cosmique ; d’une pensée immobilisant son objet dans le thème, pensant toujours à sa mesure : pensant en sachant.

Je me suis demandé (…) si l’inquiétude du Même par l’Autre n’est pas le sens de la raison, sa rationalité même : inquiétude de l’homme par l’Infini de Dieu qu’il ne saurait contenir, mais qui l’inspire – l’inspiration qui est le mode originaire de l’inquiétude, inspiration de l’homme par Dieu qui est l’humanité de l’homme –, le ‘dans’ de la ‘démesure dans le fini’ n’étant possible que par le ‘me voici’ de l’homme accueillant le prochain. L’inspiration n’a pas son mode originel dans l’écoute d’une muse qui dicte des chants, mais dans l’obéissance au Plus-Haut comme relation éthique avec autrui.

Nous l’avons dit dès le départ : notre recherche porte sur le fait de la Révélation, sur une relation avec l’extériorité, qui, contrairement à l’extériorité dont l’homme s’entoure dans le savoir, reste non ‘contenable’, infinie et cependant en relation. Que cette relation, de prime abord paradoxale, puisse trouver un modèle dans la non-indifférence pour autrui, dans une responsabilité à son égard, que précisément dans cette relation l’homme se fasse ‘moi’ : désigné sans dérobade possible, élu, unique, non interchangeable et, dans ce sens, libre[59], voilà la voie que je serais porté à prendre pour résoudre le paradoxe de la Révélation : l’éthique est le modèle à la mesure de la transcendance et c’est en tant que kérygme éthique que la Bible est révélation[60]. »

La rationalité de la transcendance.

« Que l’ouverture à la transcendance, telle qu’elle se montre dans l’éthique, n’en signifie pas moins une rationalité – signifiance du sens – voilà ce que nous voudrions aussi suggérer et, ne fût-ce que très rapidement, justifier (…)

La Révélation, telle qu’elle se décrit à partir de la relation éthique et dans laquelle la relation avec autrui est une modalité de la relation avec Dieu, dénonce la figure du Même et du connaître dans leur prétention d’être le seul lieu de la signification. Cette figure du Même, ce connaître, ne sont qu’un certain niveau de l’intelligence où elle s’assoupit, s’embourgeoise dans la présence satisfaite de son lieu et où la raison, toujours ramenée à la recherche du repos, de l’apaisement, de la conciliation, lesquels impliquent l’ultimité ou la priorité du Même, s’absente déjà de la raison vivante… Ce n’est pas l’idéal romantique de l’insatisfaction qu’il s’agit de faire préférer à la pleine possession de soi. Mais en la possession de soi l’Esprit s’achève-t-il ? N’y a-t-il pas lieu de penser à une relation avec un Autre qui vaudrait mieux que la possession de soi ? Une certaine façon ‘de perdre son âme’ ne signifie-t-elle pas une certaine déférence à ce qui est plus, ou mieux, ou plus ‘haut’ que l’âme ? C’est peut-être dans cette déférence que les notions mêmes du ‘mieux’ ou du ‘haut’ s’articulent seulement comme un sens et que recherche, désir et question, valent ainsi mieux que possession, satisfaction et réponse.

Par-delà la conscience qui est égalité à soi, ou recherche de cette égalité par assimilation de l’Autre, ne faut-il pas mettre en valeur une déférence à l’autre dans son altérité qui ne peut se produire qu’en guise d’un éveil par l’Autre du Même assoupi dans son identité ? Et l’obéissance n’est-elle pas – nous l’avons suggéré – la modalité de cet éveil ? Et ne peut-on pas penser la conscience, dans son adéquation à elle-même, comme une modalité ou une modification de cet éveil, de ce dérangement, irrésorbable du Même par l’Autre, dans sa différence ? La Révélation, plutôt qu’un savoir reçu, n’est-elle pas à penser comme cet éveil ?

Ces questions concernent l’ultime et mettent en question la rationalité de la raison et même la possibilité de l’ultime. Ne faut-il pas, dans l’identité du Même auquel la pensée aspire comme à un repos, redouter hébétude et pétrification ? L’autre n’est pensé qu’abusivement comme adversaire du Même, son altérité invite, non pas à un jeu dialectique, mais à une mise en question incessante, sans ultimité, de la priorité et de la quiétude du Même, telle la brûlure sans consumation d’une flamme inextinguible. Le prescriptif de la révélation juive, dans son obligation impayable, n’en est-elle pas la modalité même ? Obligation impayable, brûlure ne laissant même pas de cendre, qui serait encore, à un titre quelconque, substance reposant sur elle-même ; toujours éclatement du ‘moins’, incapable de contenir le ‘plus’ qu’il contient : sous forme de ‘l’un pour l’autre’. ‘Toujours’ qui signifie ici dans son sens natal de grande patience, de sa dia-chronie, de sa transcendance temporelle. Dégrisement ‘toujours’ plus profond et, dans ce sens, la spiritualité de l’esprit dans l’obéissance . »

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

LA TRADUCTION DU NOM

selon André LaCocque [La révélation des révélations]

Replacé dans le contexte de Ex.,3-13,  le questionnement de Moïse ne vise rien d’autre que d’obtenir un « Nom de puissance ». Dans la réponse de Dieu, certains ont décelé un aspect négatif.

« Plus important que la signification du Nom est sa fonction comme Nom ». Les emplois temporels variés du verbe hyh ne semblent pas en mesure d’expliquer la formulation –’ehyeh’aser’ehyeh’ –.

La nouvelle étape proposée à Israël pour sa libération et la proclamation du Nom qui s’y rattache, ont créé un contexte nouveau dont la recherche philologique s’est inspirée.

Théophanique et performatif est le Nom.

Le caractère duel du Nom de Dieu avec la tension entre passé et futur, entre connu et inconnu, entre ce qui a été déjà vécu et ce qui est désiré, apparaît encore entre bénédiction et malédiction.

La révélation du Nom à Moïse ne doit pas être considérée à part d’autres textes qui eux aussi contribuent au contexte linguistique et idéologique d’Ex.3.

La formulation du Nom divin apparaît étroitement liée au Sinaï, en tant qu’évènement paradigmatique par excellence.

Le Nom, loin d’être une déviation dans la trajectoire entre le divin et l’humain, doit être compris comme la communication suprême. 

Le Nom, quel que soit le sens attribué au tétragramme, renvoie à une histoire commune à Dieu et à l’homme, à un devenir de Dieu avec Israël.

En quoi l’exode d’Egypte est un événement bien diffèrent pour Jérusalem et pour Athènes.

Pour ne pas donner aux nations du monde l’occasion de dire qu’il y a deux autorités [les Ecritures disent] : Moi YHWH, suis votre Dieu. 

Réinterprétations néo-testamentaires.

LA RÉVÉLATION DANS LA TRADITION JUIVE

selon Emmanuel Lévinas (L’Au-delà du verset[61])

LE CONTENU ET LA STRUCTURE DE LA RÉVÉLATION

Sur quoi la révélation juive repose-t-elle ?

Un premier étonnement de Rachi.

Sur quoi l’unité du peuple juif repose-telle ?

Où la métaphysique et l’anthropologie philosophique du judaïsme se trouvent-elles constituées ?

Comment définir le contenu de la Révélation ?

LE FAIT DE LA RÉVÉLATION ET L’ENTENDEMENT HUMAIN

L’ordre du monde et la Révélation

Quelques pistes

Révélation et obéissance.

La rationalité de la transcendance.

TABLE DES MATIÈRES



[1] Professeur émérite d’exégèse biblique à Chicago University dont les nombreuses œuvres ont été publiées de 964 à 2000.
[2] « Faut-il souligner toute l’actualité de cette différence entre la rationalité, ‘lecture de l’avenir dans le présent’, et la sagesse qui s’instruit à tout visage humain nouveau ? Dans la première, le sage s’expose à l’idéologie, aux abstractions du totalitarisme ; il peut mener du ‘socialisme scientifique’ au stalinisme. Le sage de la deuxième sagesse ne s’immobilise pas dans un système, résiste aux abstractions cruelles, peut se renouveler à chaque nouvelle rencontre », in Nouvelles lectures talmudiques (Paris, 1996/ 2004), p.60.
[3]  Seuil (Poche 506) pp. 314 à 342.
[4] Horeb : c’est le nom de la montagne sainte dans les traditions originaires de l’Israël du Nord (élohiste et deutéronomiste). Les traditions yahviste et sacerdotale l’appellent Sinaï.
[5]  Dans ces textes anciens, l’expression ange (ou envoyé) du Seigneur signifie : le Seigneur en tant qu’il se manifeste.
[6] Cette scène où Moïse découvre tout à coup le caractère sacré du lieu où se trouve le buisson, évoque celle de Gn.28,11-22, où Jacob fait la même expérience au sanctuaire de Béthel. Le phénomène mystérieux d’un feu qui brûle sans consumer a été, dans la vie de Moïse un événement décisif, où il a retrouvé le Dieu des patriarches (v.6) et son projet sur les hommes (vv. 7-10). Dans la bénédiction de Dt.33,16, le Seigneur est appelé Celui qui demeure dans le Buisson..
[7] C’est ici la première mention du service de Dieu, enjeu de tout le drame des « plaies d’Egypte ». En secouant le joug de la servitude de Pharaon, le peuple d’Israël ne va pas entrer dans un état de liberté anarchique , mais faire de cette liberté un service de Dieu régi par la loi de l’alliance. Passer de l’esclavage du service de Pharaon à la liberté du service de Dieu, tel est l’enjeu de l’exode.
[8] Il s’agit là de la traduction de ’eyeh’aser’eyeh’ donnée par la TOB (Traduction oecuménique de la Bible) ; les 2 versets 14 et 15 feront l’objet de l’exégèse qui va suivre. 
[9] Dictionnaire théologique de l’ancien Testament, « YHWH », p.520.
[10] Nahum M. Sarna, Exploring Exodus (New York, 1986)
[11] Cf. Martin Buber : la divine révélation est la signification du Nom, non pas le Nom lui-même, Königtum Gottes,(Berlin,1936).
[12]  Cf.Ps.,54,3, 20,2, 124,8 ; Pr. 18,10 ; Za. 4,9 ; Esaïe, 45,3, etc.
[13]  Procédé de style qui consiste à employer à côté l’un de l’autre des mots dont le son est à peu près semblable mais dont le sens est différent (Ex. Qui se ressemble, s’assemble.).
[14]  Ps.,99,6 ; 1 Rois 18,24.
[15]  Terrence Fretheim écrit : «  [Il doit y avoir] un commandement spécialement conçu pour protéger le nom de Dieu [...] (Exode 20,7 ; Deutéronome 5,11). L’inquiétude est mieux exprimée dans Lévitique 19,12 [...] Dieu s’inquiète au sujet de Dieu , au sujet du futur de Dieu [...] Donner le nom ouvre la possibilité et, en fait, admet le désir d’une certaine intimité dans la relation [...], The Suffering of God (Philadelphie, 1984).
[16]  Hartmut Gese, « Der Name Gottes im A.T » (Dusseldorf, 1975). 
[17]  A Mari (en Syrie) aussi, des verbes isolés représentaient des noms divins (cf. Herbert H. Huffmon, ‘Yahweh and Mari …Baltimore, 1971). Il y a aussi deux exemples pré-islamiques, yagut ‘il aide’ et ya’tiq ‘il.protège’.
[18]  Cf Paul Joüon, Grammaire de l’hébreu biblique (Institut Pontifical, Rome 1947).
[19]  G. S. Ogden, “Time and the Verb hyh in Old Testament Prose (1971)”.
[20]  Ajoutons ici le texte étonnant de Deutéronome 26,17-18 où le verbe hyh est employé dans toute sa force.
[21] Texte dans lequel on a établi, à partir du 6ème s. apr. J.C., des voyelles pour en faciliter la lecture.
[22] Le témoignage de la Septante est important ; il montre qu’Exode 3,14s a été vu, avant la lecture massorétique (système de Tibériade adopté vers 900 après J.C)., comme représentant une forme indicative (forme qal) et non pas une forme factitive ou causative (forme hiphil)
[23]  August Dillmann, Handbuch der alttestamentlichen Theologie (Leipzig, 1895).
[24]  Nahum M. Sarna, Exploring Exodus (New-York, 1986)
[25] Cf .Paul van Imschoot, Théologie de l’Ancien Testament, I « Dieu » (Tournai,1954). Le nom de Dieu doit soutenir la confiance du peuple dans la déclaration que Dieu ‘est avec toi’(Exode, . 3,9-12). Il doit être capable d’effectuer la délivrance d’Egypte. Alors le Nom signifie ‘Celui qui manifeste son existence avec efficacité’.
Cf. Jame Plastaras, The God of Exodus, (Milwaukee,1966) : ‘Le nom YHWH définit Dieu en termes d’une ative présence’.
Cf. Brevard Childs, The Book of Exodus, (Philadelphie,1974) : ‘Le Dieu d’Israël fait connaître son existence en des moments historiques particuliers et confirme dans ses oeuvres son existence ultime en rachetant le peuple de l’Alliance’.
[26] Introduction to the Old Testament as Scripture (Philadelphie, 1979),
[27] « Mais je sais que le roi d’Egypte ne vous permettra pas de partir, sauf s’il est contraint par une main forte ».
[28] ibid. Brevard Childs, 1979, p. 76
[29]  « Je te donnerai les trésors déposés dans les ténèbres,
les richesses dissimulées dans des cachettes,
ainsi tu sauras que c’est moi Yhwh,
celui qui t’appelle par ton nom, le Dieu d’Israël ». 
[30]  Evode Beaucamp, La Bible et le sens religieux de l’univers (Paris, 1959) : « Le Dieu du Sinaï ne s’est pas contenté  d’ouvrir un dialogue avec ses créatures, il a pris en charge leur destin, les entraînant derrière lui en une marche haletante vers un terme de lui seul connu (cf. Esaïe 45,2, 52,12 ; Psaume 18,30).
[31] Dans une note à Exode 20,2, la TOB mentionne la possibilité de la traduction suivante de ce verset : « C’est moi le Seigneur qui suis ton Dieu, pour t’avoir fait sortir du pays d’Egypte. » Ainsi le lien avec Exode 3,14 est très fort.
[32] Walther Zimmerli, I am Yhwh, (Atlanta,1982).
[33] L’hébreu de Ps.138 ,2 dit quelque chose comme « …car tu as fait des paroles [de promesse] bien au-dessus de ton nom ».
[34] < C’est pourquoi en tant que nom appellatif, l’exacte personne grammaticale n’est pas la troisième personne comme dans la LXX, ho ôn, mais soit la première personne lorsque Dieu parle, soit la deuxième personne, quand l’homme répond. Dès à présent, nous devons noter avec quel soin extrême les textes bibliques gardent l’aspect primordial appellatif du nom, avant même de lui permettre de devenir prédicatif, à savoir ‘YHWH’[La distinction entre les catégories appellatives et prédicatives est de Paul Ricoeur.]
Ainsi, évitant en apparence toute référence indirecte à l’expéditeur divin à la troisième personne du singulier, Moïse a le mandat de dire aux Hébreux en Egypte : ‘ehyeh  m’a envoyé (Exode 3,14b). Plus généralement, la demande de reconnaissance est exprimée par « et vous connaîtrez que je suis YHWH », au lieu du simple « connaissez YHWH parce que, dans l’événement de la reconnaissance, YHWH lui-même est le sujet, non l’objet >.   
[35]  Walther Zimmerli, op.cit. p.153.
[36]  Comme déjà vu, ce qui empêche ehyeh d’être une déclaration ontologique sur l’essence divine, est la première personne de l’indicatif présent. Paul Ricoeur parle d’‘attestation de l’existence dans le sens d’efficacité’. Le nom est ‘performatif’ et a un pouvoir évocateur. Il n’est pas performant grâce à une super-détermination mais au contraire par son indétermination, transmettant ainsi un ‘surplus de sens’ qui bouleversa Moïse à Madian et le peuple d’Israël depuis ce moment-là. A cet égard, l’aspect d’‘appellatif’ de la formule est important car la première personne ‘est ressentie par contraste (avec un tu […]. « C’est cette condition dialogique qui constitue la personne, car elle implique que réciproquement je devient tu [..] Je assume une autre personne, celui qui étant ce qu’il est, complètement externe à ‘moi’ devient mon écho auquel je dis tu et qui me dit tu [Emile Benveniste, in Problèmes de linguistique générale, Paris 1976]. »
[37] W. Zimmerli, op.cit. p.67.
[38] Hartmut Gese, « Der Name Gottes im A.T. (Düsseldorf 1975) ».
[39] « Gardez mes lois et mes coutumes : c’est en les pratiquant que l’homme a la vie, C’est moi YHWH. »
…tu ne profaneras pas le nom de ton Dieu, C’est moi YHWH. »
[40]  « Vous connaîtrez que je suis YHWH, quand j’agirai avec vous…– oracle de YHWH»
[41]  Cette mise en place n’est pas nécessairement originelle. Dans Ps.50,18s, on peut trouver les 6ème,7ème et 8ème commandements ; dans Ps. 81,10 on trouve le 1er commandement.
[42]  Cet aspect « compensatoire » de la révélation du Nom par manque de représentation plastique n’a pas échappé à Gerhard von Rad, Théologie de l’A.T. t.1.
[43]  in Ancient Israël’s Criminal Law (New-York 1970)
[44] ‘Un signe est annoncé par le prophète par anticipation de son résultat faisant ainsi que ce dernier soit ‘significatif en ce qui concerne un processus de reconnaissance […] Elle donne à l’événement historique créé par YHWH la valeur d’un signe qu’une décision doit être prise par l’homme de reconnaître YHWH’.  
[45]  « Je suis apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob comme Dieu Puissant (Al Shaddaï), mais sous mon nom YHWH, je ne me suis pas fait connaître d’eux. »
[46]  ‘Cette incidente est ici importante. Elle indique l’approximation de la déclaration car nous sommes incapables d’exprimer de façon satisfaisante le mouvement dialectique en Dieu de sa transcendance et de son immanence’.
[47] Osée 2,20-22 : « Je conclurai pour eux en ce jour-là une alliance, …Je te fiancerai à moi pour toujours, je te fiancerai à moi par la justice et le droit, l’amour et la tendresse. Je te fiancerai à moi par la fidélité et tu connaîtras YHWH. »
[48]  Kostas Papaioannou, in Nature and History in the Greek Conception of thre Cosmos (1959).
[49] José Faur, in olden Doves with silver Dots (1986).
[50]  La littérature rabbinique suit Rashi. Il a été dit que la différence entre ’ehyeh’aser’ehyeh’  dans la première partie du verset 14 d’Exode 3 et le ’ehyeh dans la deuxième partie peut être expliquée ainsi : ’ehyeh veut dire : « Je serai avec vous dans la servitude en Egypte », tandis  que ’ehyeh’aser’ehyeh   veut dire ceci  et que Dieu sera avec eux dans d’autres servitudes dans le futur. Donc, pour épargner les Hébreux en Egypte, Moïse a reçu l’ordre de parler seulement au nom de ’ehyeh pour cacher les autres servitudes futures.
[51]  David régna 40 ans, 7 ans à Hébron sur Juda, puis 33 ans à Jérusalem (Sion) sur tout Israël et Juda.
[52] Pages 169 à 181.
[53]  Dans cette discussion ouverte, « le désaccord ne serait point signe de quelconque finitude de la sagesse révélée. Il signifie la vie de la Thora, que le Talmud appelle guerre-entre-sages ou entre ‘disciples en sagesse’. Les aspects innombrables du Vrai absolu vivent au sein des débats ou disputes rabbiniques, évitant dogmatisme, évitant hérésies. » (Nouvelles lectures talmudiques p.54).

[54] L’enseignement oral du Talmud reste inséparable de l’Ancien Testament et en oriente l’interprétation. Cette lecture scrutant le texte sur le mode littéral et à laquelle l’hébreu de l’original de la Bible se prête merveilleusement, est précisément la façon talmudique. Toute la partie prescriptive de la Thora se trouve ‘retravaillée’ par les docteurs rabbiniques et toute la partie narrative est amplifiée et retravaillée d’une façon propre. De sorte que c’est le Talmud qui permet de distinguer la lecture juive de la Bible de la lecture chrétienne ou de la lecture ‘scientifique’ des historiens et des philosophes. Le judaïsme, c’est bien l’Ancien Testament, mais à travers le Talmud. 
[55]  « Puis, j’écarterai ma main et tu me verras de dos ; mais ma face , on ne peut la voir. »
[56]  même le narratif.
[57]  Exode 24,7
[58] 1ère formulation de l’impératif catégorique : « Agis de telle façon que la maxime de ta volonté puisse servir à la fois en chaque cas comme principe d’une législation universelle ».
2ème formulation : « Une législation qui ne contrevienne pas au principe de l’humanité de l’homme, de tout homme, à sa liberté guidée par sa raison qui ne transforme pas autrui en simple instrument au service de mes désirs et ne fasse pas un objet pour moi de ce qui ne peut être qu’un sujet ».
[59]  « La liberté signifierait donc l’entente d’une vocation à laquelle je suis seul à pouvoir répondre ; ou encore le pouvoir-répondre là où je suis appelé. »
[60]  « Y a-t-il sens et récit, s’interroge Lévinas dans les Nouvelles lectures talmudiques, y a-t-il ‘dit’, y a-t-il fable qui ne conte pas la relation d’homme à homme ? Y a-t-il relation d’homme à homme qui ne fasse pas sortir le moi de soi, qui ne rompe pas l’identité de l’identique par laquelle les vivants se cramponnent à leur être ? Y a-t-il relation d’homme à homme qui ne soit pas éthique ? L’éthique n’est pas une région ou un ornement du réel, elle est de soi, le désintéressement même, lequel n’est possible que sous le traumatisme dans lequel la présence, dans son égalité impénitente de présence, est dérangée par l’Autre. Dérangée ou éveillée…. »  
[61] Pages 169 à 181.

 


Date de création : 23/10/2005 - 14:16
Dernière modification : 30/12/2006 - 13:46
Catégorie : Contributions|Henri Duthu
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