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contrilogo.gifContributions|Henri Duthu - Méditations cartésiennes

MÉDITATIONS CARTÉSIENNES DE HUSSERL

SYNTHÈSES PROPOSÉES PAR LÉVINAS

 

SOMMAIRE

NOTES BIOGRAPHIQUES

Le pourquoi d’une parution si longtemps différée des Méditations cartésiennes de Husserl en langue allemande
 
La dette de la phénoménologie envers Descartes et la transformation que Husserl opéra sur les Méditations de Descartes de 1641
 
Extrait de la première partie des Conférences de Paris

SYNTHÈSES PROPOSÉES PAR LÉVINAS

Méditations cartésiennes et phénoménologie
Mouvement et Intentionnalité
Sensation et Phénoménologie

NOTES BIOGRAPHIQUES

Le pourquoi d’une parution si longtemps différée des Méditations cartésiennes de Husserl en langue allemande

Deux décennies séparent la publication des Méditations carté- siennes en langue française à Paris (1930) de celle des Husserliana en langue allemande par les Archives Husserl de Louvain (1949). Les démêlés entre philosophes allemands au cours de la période 30-45, sans qu’ils aient été formellement invoqués, y sont sans doute pour beaucoup. On en décèle une trace assez nette dans la lettre D’Husserl à Ingarden du 21 décembre 1930 :

«…C’est une vraie malchance que je sois si tardivement parvenu à mettre sur pied ma propre (c’est hélas l’expression appropriée) phénoménologie transcendantale sous la forme d’une esquisse systématique, alors qu’il y a maintenant une génération qui est fortement pénétrée de préjugés, et qui, en raison d’une psychose d’effondrement, ne veut plus rien savoir en matière de philosophie rigoureuse. Et pourtant je suis plein d’une confiance joyeuse. Même si personne actuellement ne veut m’accompagner ni comprendre mes esquisses qui, jusque-là, ont été trop brèves et trop lacunaires, même si le monde philosophique, au lieu de corriger ses partis pris et quelques erreurs, écarte les grandes perspectives neuves, je suis certain de l’avenir […] Depuis l’été dernier , depuis la parution du dernier livre, je me livre à l’étude approfondie avec passion des moteurs, des esquisses, de la série variée des réflexions, de la problématique universelle propres à la phénoménologie transcendantale comprise comme philosophie générale qui, une fois tout à fait développée, devrait englober – en leur donnant une fondation ultime – toutes les ontologies (toutes les disciplines a priori) et toutes les sciences en général […] Mener à terme ce projet demandera encore beaucoup de temps, mais j’espère bien pouvoir en publier une première moitié dans la prochain Jahrbuch (automne 1931)…»

Un autre facteur, non moins important qui émerge des compte-rendus de l’époque, paraît devoir être pris en compte. Husserl, comme on vient de le lire, était soucieux de livrer lui-même à ses contemporains « la première interprétation de la phénoménologie », de sorte qu’il est resté longtemps circonspect vis à vis des textes publiés par d’autres. La traduction française de Gabrielle Peiffer et d’Emmanuel Lévinas, si méritante qu’elle fût, lui avait laissé quelques regrets, surtout, semble-t-il, quant à l’opportunité de sa publication.

Il n’est pas surprenant, relève-t-on, sous la plume de Marc de Launay [1], que Husserl ait été peu satisfait de voir ainsi achevée, avant le terme qui lui eût paru devoir correspondre enfin à ce qu’il avait lui-même en vue, l’œuvre qui le renvoyait à l’inachèvement de sa propre réflexion.

L’anecdote rapportée à ce propos par Emmanuel Lévinas, justement, offre à cet égard un éclairage ironique qui rend justice à la première traduction : Husserl lui confia qu’il avait, enfant, reçu en cadeau un canif dont il n’avait pas de plus pressant souci que de maintenir le plus effilé possible le tranchant ; aussi ne cessait-il, en toute occasion, d’en affûter la lame, tant et si bien qu’à la longue, elle finit par s’amenuiser jusqu’à disparaître, la perfection faisant alors ressembler ce canif au fameux couteau « sans manche » dont Lichtenberg dit qu’ « il lui manque la lame »…Pareille aspiration à la perfection, aussi louable, nécessaire et compréhensible qu’elle soit, ne laisse cependant jamais place à une satisfaction, toujours plus ou moins suspecte de complaisance, qui s’apparenterait à plus qu’un répit, à un dépérissement du conatus quaerendi. C’est sans doute la principale raison pour laquelle Husserl s’est dit mécontent de la parution en français des Méditations cartésiennes, outre le fait que cette publication a eu lieu bien avant l’édition allemande à laquelle Husserl eût certainement souhaité pouvoir mettre la « dernière main » sans qu’elle eût dû être l’ultime. >

La dette de la phénoménologie envers Descartes et la transformation que Husserl a dû opérer sur les Méditations de Descartes de1641

La dette de la phénoménologie envers Descartes et la transformation que Husserl a dû opérer sur les Méditations de 1641, constituent le thème des deux Conférences de Paris des 23 et 25 février 1929 [2]. La première d’entre elles traita de la réduction [phénoménologique], la seconde de l’intersubjectivité. Elles résultaient de travaux préalables de Husserl qui se sont déroulés du 25 janvier au 23 février 1929.

A la suite de la tenue de ces conférences, de retour à Fribourg, Husserl travailla du 15 mars au 6 avril, puis du 15 avril au 16 mai, à revoir, étendre et remanier ses conférences en partant du texte des exposés parisiens pour parvenir très vite à un dactylogramme qui servit de base à la traduction française et qui fut corrigé par Eugen Fink avant d’être envoyé à Jean Héring pour qu’il soit traduit [3].

« Des deux Conférences de Paris, à quoi s’ajoutent les souvenirs des infléchissements donnés à ses propos de Strasbourg ainsi que des nombreuses discussions qui eurent lieu dans la capitale comme en Alsace, Husserl fit un seul texte sténographié qui, dans un premier temps, a correspondu aux trois premières Méditations avant de se prolonger par la quatrième puis par la cinquième dont l’ampleur n’a cessé de croître au fil des remaniements. Cette première réélaboration est allée, bien évidemment, très au-delà de la lettre initiale des conférences, d’autant qu’elle-même, une fois dactylographiée, fut également remaniée et de nouveau complétée. »    

« Avec les Idées pour une phénoménologie pure…, et, bien entendu La crise des sciences européennes…, les Méditations, selon Marc de Launay, peuvent être considérées comme l’une des trois œuvres ‘synthétiques’ qui ont permis à Husserl de donner un exposé, sinon exhaustif , du moins systématique de sa pensée. »

Extrait de la première partie des Conférences de Paris

Nous reproduisons ci-après un extrait de la première partie des Conférences de Paris en le présentant sous forme de paragraphes titrés, afin d’en faciliter la compréhension.

Husserl parle de Descartes et de ses Méditationes de prima philosophia 

< Je me réjouis tout particulièrement de pouvoir parler de la phénoménologie nouvelle dans ce haut lieu par excellence de la science française. René Descartes, le plus grand penseur français, est en effet le seul, parmi les philosophes du passé, qui ait eu une influence si décisive sur le sens de la phénoménologie. Elle ne peut que lui rendre l’hommage dû à son vrai père fondateur. C’est très directement, il faut le souligner, que l’étude des Méditations cartésiennes a participé à l’élaboration nouvelle de la phénoménologie à venir et lui a donné l’orientation qu’elle a aujourd’hui, qui autorise presque qu’on la désigne comme un néo-cartésianisme, un cartésianisme du XXe siècle.

Cette situation me permet à coup sûr, et par avance, d’être certain que vous me suivrez si j’articule mon propos sur ces thèmes des Meditationes de prima philosophia qui, comme je le crois, ont une signification éternelle, de même si, en liaison avec ces thèmes, je définis la transformation et la réélaboration d’où prend source la spécificité de la méthode et de la problématique phénoménologiques.

Tout philosophe débutant connaît la remarquable démarche intellectuelle des Méditations. Leur but, nous nous en souvenons est de procéder à une réforme complète de la philosophie, ce qui implique le réforme de toutes les sciences. Car elles ne sont que les membres dépendants d’une seule science universelle, la philosophie. Elles ne peuvent parvenir à une rationalité authentique qu’au sein de leur unité systématique, laquelle, étant donné la manière dont elles se sont jusqu’alors développées, leur fait défaut. Il est nécessaire d’entreprendre une reconstruction radicale qui, dans l’unité d’une fondation [4] absolument rationnelle, satisfasse à l’idée qui veut que la philosophie soit l’unité universelle des sciences. Cette exigence d’une reconstruction se manifeste, chez Descartes, à travers une philosophie orientée vers la subjectivité. Cette orientation se réalise en deux étapes.

En premier lieu : qui veut sérieusement devenir philosophe doit, au moins une fois dans sa vie, faire retour sur soi et chercher en lui-même à bouleverser toutes les sciences existantes et à en reconstruire l’édifice. La philosophie est l’affaire personnelle de celui qui philosophe. Il s’agit de sa propre sapientia universalis, c’est-à-dire de son propre savoir qui tend à l’universel, mais il s’agit néanmoins d’un savoir authentiquement scientifique dont il peut absolument répondre, qu’il s’agisse de la première ou de n’importe laquelle de ses étapes, en s’appuyant sur ses propres raisons absolument évidentes. Je ne puis devenir un vrai philosophe qu’en prenant librement la décision de faire que ma vie tende vers un tel but. Une fois prise cette décision, une fois que j’ai accepté de commencer dans le dénuement absolu et que j’ai choisi de bouleverser l’édifice existant, la première chose à faire est, bien entendu, de réfléchir à la manière dont je vais pouvoir trouver un point de départ absolument sûr et la méthode qui me permettra de progresser, alors même que me fait défaut le moindre appui hérité d’une science déjà donnée. Les Méditations cartésiennes n’entendent donc pas être l’affaire privée du philosophe Descartes, mais le modèle des méditations nécessaires auxquelles doit se livrer de toute façon le philosophe débutant.

Si nous nous tournons maintenant vers le contenu des Méditations, si déconcertant pour nous aujourd’hui, nous y voyons d’emblée s’accomplir un retour à l’ego philosophant en un second sens, plus profond. Il s’agit du retour, qui fit époque, à l’ego des cogitationes pures ; l’ego qui se découvre être l’unique ‘étant’ apodictiquement certain, tandis qu’il retire tout crédit à l’existence du monde puisqu’elle n’est pas préservée d’un possible doute.

Cet ego commence alors par entreprendre une démarche philosophique résolument solipsiste. Il cherche des moyens apodictique- ment certains d’inférer, au sein de la pure intériorité, une extériorité objective. On connaît la procédure cartésienne : on infère tout d’abord l’existence et la veracitas de Dieu, puis, grâce à elles, la nature objective, le dualisme des substances, bref, le sol objectif des sciences positives, ainsi que ces sciences mêmes. Toutes les déductions obéissent à des principes qui sont immanents à l’ego, qui lui sont innés.

Voilà ce qu’il en est de Descartes.>

Construire ou non, à partir du subjectivisme transcendantal de Descartes ?

< Nous nous posons maintenant la question de savoir s’il vaut vraiment la peine de lancer l’analyse critique en quête de la signification universelle propre à de telles idées ? Sont-elles en mesure d’insuffler à notre époque quelques forces vives ?

Il est surprenant toutefois que les sciences positives, qui étaient pourtant censées atteindre, grâce à ces Méditations, un fondement absolument rationnel, s’en soient si peu préoccupées. Aujourd’hui, en tout cas, elles se trouvent fort embarrassées par l’absence de clarté qui affecte leurs assises, malgré trois siècles de brillant développement. Mais il ne leur vient pas à l’idée d’en revenir aux Méditations cartésiennes lorsqu’il s’agit de donner une forme nouvelle à l’intelligibilité de leurs fondements.

Il est, d’autre part, de grande conséquence que les Méditations aient fait date en philosophie, et précisément par leur retour à l’ego cogito. Descartes inaugure en réalité une philosophie d’un type tout à fait nouveau. Celle-ci transforme l’ensemble de son style et opère un tournant radical qui lui fait abandonner l’objectivisme naïf pour un subjectivisme transcendantal, lequel, à travers des tentatives toujours renouvelées mais toutes insuffisantes, tend vers une forme achevée et pure. Cette orientation durable ne recèlerait-elle pas un sens éternel, et ne serait-elle pas pour nous, une tâche considérable que l’histoire même nous impose, à quoi nous serions tous appelés à collaborer ?

L’éparpillement de la philosophie contemporaine en de vains affairements nous donne à réfléchir. N’est-il pas à l’origine de ce moment où, à cause de lui, les forces vives et rayonnantes des Méditations de Descartes perdirent leur élan originel ? La seule renaissance féconde ne serait-elle pas celle qui ranimerait ces Méditations, non pas dans le but qu’on les accepte telles quelles, mais afin de dévoiler d’abord le sens le plus profond du radicalisme qui leur impose d’en revenir à l’ego cogito, puis de montrer la valeur universelle de ce que fait surgir un tel retour ? C’est ainsi, en tout cas, que se dessine la voie qui a conduit à la phénoménologie transcendantale.>A partir des germes contenus dans les Méditations de 1641, il y a lieu de dégager une évidence et la soumettre à un examen critique

< Parcourons maintenant cette voie ensemble. En cartésiens et comme des philosophes qui débutent de manière radicale nous entendons développer des méditations, non sans faire subir aux Méditations de 1641 une transformation qui sera critique en permanence. Ce qu’elles recelaient en germe seulement doit être librement développé.

Nous commençons donc chacun pour soi et en soi-même, par décider de retirer tout crédit à l’ensemble des sciences qui nous sont données. N’abandonnons pas le but qui guidait Descartes, la fondation absolue des sciences, mais n’en présupposons pas même la possibilité à titre préjudiciel. Contentons-nous de nous plonger au sein de l’activité des sciences et d’en déduire leur idéal de scientificité, ce à quoi les sciences et la science en général tendent. A en juger selon leur perspective, rien n’aurait de valeur effectivement scientifique qui ne fût justifié par une parfaite évidence, c’est-à-dire qui ne soit à démontrer en revenant aux choses mêmes ou à l ‘état de choses à travers une expérience et une intuition originelles. Guidés par cette démarche, nous nous faisons, nous autres philosophes débutants, un principe de ne porter de jugement que lorsque nous sommes face à une évidence, et de soumettre cette évidence elle-même à un examen critique qui lui aussi, bien entendu ne procèdera qu’en s’appuyant sur une évidence. Si, dès le début, nous avons retiré tout crédit aux sciences, nous nous situons donc dans une vie préscientifique où les évidences, immédiates et médiates, ne manquent certes pas. C’est cela et rien d’autre dont nous disposons d’abord.>

Pour fonder les sciences, contre toute attente, il nous faut refuser le crédit spontané qu’on accorde à l’expérience du monde : l’existence du monde n’allant plus de soi, elle-même se trouve ramenée à un problème de validité

< En réfléchissant à la perspective [qui vient de s’ouvrir] par cette première question, il semble que s’offre d’emblée une évidence qui, en fait et en soi, serait première et apodictique : celle de l’expérience du monde. C’est au monde que se réfèrent toutes les sciences, et, avant elles déjà, la vie agissante. Précédant tout, l’existence du monde va de soi, à tel point que personne ne songera à le dire explicitement en une quelconque proposition. Avons-nous cependant une expérience continue du monde au sein de laquelle ce monde ne cesse d’être incontestablement un ‘étant’ sous nos yeux ? Et cette évidence de l’expérience est-elle effectivement apodictique malgré le fait qu’elle va de soi ? Est-elle effectivement celle qui en soi est la première, précédant toutes les autres ?

Nous devons répondre par la négative à ces questions. Bien des choses ne se révèlent-elles pas, prises une à une, être une illusion des sens ? N’arrive-t-il pas que même l’ensemble du complexe de l’expérience, formant une unité dominable se trouve rabaissé au rang de simple rêve ? Nous refusons de prendre en compte la tentative cartésienne de prouver, grâce à une trop superficielle critique de l’expérience sensible, que, en dépit du fait qu’on a constamment l’expérience du monde, il est possible qu’il n’existe pas. Nous nous contentons de retenir que l’évidence de l’expérience, utilisée aux fins de donner un fondement radical aux sciences, nécessite d’abord la critique de sa validité et de sa portée, donc que nous ne sommes pas autorisés à nous en réclamer comme étant indubitable et immédiatement apodictique. Ainsi, il ne suffit pas de retirer tout crédit aux sciences qui nous sont données, de les traiter comme autant de préjugés ; il nous faut également refuser le crédit spontané qu’on accorde à leur base universelle, à l’expérience du monde. L’existence du monde ne peut plus être pour nous un fait allant de soi, au contraire même, elle n’est plus qu’un problème de validité.>

Le tournant vers l’ego cogito s’impose comme ultime assise du jugement sur quoi fonder toute philosophie radicale

< [Disposerions-nous cependant], ne serait-ce que d’un sol onto- logique, une base pour de quelconques jugements et évidences qui nous permettrait, apodictiquement, d’y fonder une philosophie universelle ? Le monde n’est-il pas le terme générique qui désigne la totalité de l’‘étant’ en général ? Bien loin d’être en fin de compte, la première base du jugement, l’existence du monde ne présupposerait-elle pas déjà un sol ontologique en soi antérieur ?

Opérons [alors], en un sens tout à fait cartésien, ce grand tournant qui, bien accompli, conduit à la subjectivité transcendantale : le tournant vers l’ego cogito, considéré apodictiquement certain et comme ultime assise du jugement sur quoi fonder toute philosophie radicale.

Réfléchissons : en philosophes dont les méditations ont pris un tour radical, nous ne disposons à présent ni d’une science qui ait à nos yeux quelque validité, ni d’un monde qui soit, pour nous, doté d’existence. Au lieu d’être tout simplement existant, ce qui est naturellement le cas, pour nous, dans la croyance à l’être propre à l’expérience, le monde n’est plus, à nos yeux, qu’une simple prétention à l’être. Cela affecte tous les autres moi de sorte que, si nous voulons être rigoureux, nous ne sommes pas vraiment autorisés à utiliser un pluriel collectif. En effet, les autres hommes et les animaux ne me sont donnés que par le biais de l’expérience sensible dont je ne puis mobiliser la validité, puisqu’elle est mise en cause avec le reste. Avec les autres hommes, je perds aussi, bien évidemment, toutes les constellations que sont la vie sociale et la culture ; bref, pour moi, l’ensemble du monde concret, au lieu d’être existant, n’est plus qu’un phénomène d’être. Mais quoi qu’il en soit de la prétention à l’effectivité de ce phénomène d’être, qu’il soit être ou apparence, il n’est cependant en tant que phénomène, mien par rien, mais précisément par ce qui rend partout possible, pour moi, l’être ou l’apparence.. Répétons-le : si je m’abstiens de toute croyance en l’expérience, comme j’en ai été capable et comme je l’ai fait en toute liberté, de sorte que je n’accorde plus crédit à l’existence du monde de l’expérience, cette abstention que j’opère est cependant quelque chose qui, en soi, existe en même temps que tout le courant de la vie et des expériences qu’elle fait, ainsi que tous ses phénomènes particuliers, les choses telles qu’elles apparaissent, les autres hommes tels qu’ils apparaissent, les objets culturels, etc. Tout reste en l’état, à ceci près que je ne le considère plus simplement comme existant, et que je m’abstiens, au contraire, de toute prise de position à l’égard de l’être et de l’apparence. De même, je dois m’abstenir de toutes mes autres opinions, jugements, prises de position évaluatrices à l’égard du monde qui en présupposeraient l’existence ; en ce qui les concerne, mon abstention ne signifie pas non plus leur disparition en tant que simples phénomènes.

Cette abstention universelle de toute prise de position à l’égard du monde objectif, que nous appelons l’épochè phénoménologique, devient donc précisément la méthode grâce à laquelle je m’appréhende purement comme ce moi et cette vie de la conscience, au sein de quoi et à travers quoi la totalité du monde objectif existe pour moi, et telle qu’elle est pour moi précisément. Tout ce qui est mondain, tout être spatio-temporel existe pour moi dans la mesure où j’en fais l’expérience, le perçois, m’en souviens, y pense d’une quelconque manière, le juge, l’évalue, le désire, etc. Toutes ces opérations, on le sait, Descartes les définit sous le terme de cogito. Le monde n’est pour moi absolument rien d’autre que ce monde qui est existant pour la conscience à travers de telles cogitationes et qui par ce biais seul a quelque valeur à mes yeux. Tout le sens du monde, comme le crédit accordé à son existence, dépend exclusivement de telles cogitationes. C’est en elles que se déroule toute ma vie mondaine. Ma vie, mon expérience, ma pensée, mes évaluations et mon action ne peuvent pénétrer dans aucun autre monde que celui dont le sens et la valeur sont en moi et proviennent de moi-même. Si je me place au-delà de toute cette vie-là et si je m’abstiens de céder à une quelconque croyance en l’existence qui admettrait précisément que le monde existe, si je dirige mon regard exclusivement vers cette vie même comprise comme conscience du monde, je parviens à être moi-même un pur ego accompagné du pur flux de mes cogitationes.

Ce n’est pas, par exemple, à un fragment du monde que j’accède ainsi, puisque j’avais retiré, et universellement, tout crédit au monde ; pas davantage à moi en tant qu’être humain individué sous les espèces d’un moi, mais comme ce moi au sein de la vie consciente duquel seulement le monde dans son ensemble et moi-même en tant qu’objet du monde, en tant qu’homme existant dans le monde, acquièrent précisément leur sens et la validité de leur être.>

Ecueils à éviter en restant fidèles au principe de l’intuition pure qui veut que nous ne fassions proposition de rien que nous ne voyions nous-mêmes

< Nous en sommes arrivés à un point délicat. Il semble si facile de suivre Descartes et d’appréhender l’ego pur et ses cogitationes. Pourtant, c’est comme si nous étions parvenus sur une arête escarpée sur laquelle continuer à marcher calmement et avec assurance décide de la vie ou de la mort de la philosophie. Descartes était pourtant animé de la volonté la plus pure d’éviter radicalement tout préjugé. Mais de nouveaux travaux, et tout particulièrement les belles et profondes recherches de MM. Gilson et Koyré, nous ont appris à quel point les Méditations de Descartes recèlent un héritage scolastique secret à titre de préjugé obscur. Mais il n’y a pas seulement cela : nous devons tout d’abord écarter de nous les préjugés qui résultent d’une orientation intellectuelle tournée vers la science mathématique, et que nous-même remarquons à peine, car tout se passe comme si l’expression ego cogito avait le statut d’un axiome apodictique fondamental qui, articulé sur d’autres (à déduire de lui), serait apte à fournir le fondement d’une science déductive du monde, une science ordine geometrico. Or, par rapport à cela, il serait tout à fait illégitime de considérer comme allant de soi que, avec notre ego apodictiquement pur, nous eussions sauvé une partie du monde qui fût, pour le moi philosophant, la seule indubitable, et qu’il s’agirait alors d’en déduire le rets du monde, grâce à des conclusions correctement menées selon les principes innés à l’ego.

C’est malheureusement ainsi qu’il en a été chez Descartes lorsqu’il a opéré le tournant inapparent mais fatal qui a fait de l’ego la substantia cogitans, l’animus [5] humain séparé, le point de départ de déductions obéissant au principe de causalité ; bref, ce tournant qui fit de lui le père de l’absurde réalisme transcendantal. Nous éviterons ce danger si nous restons fidèles au radicalisme de l’automéditation et donc au principe de l’intuition pure qui veut qu’on n’accorde crédit à rien qui ne nous soit donné de manière effectivement première et absolument immédiate sur le terrain, à nous ouvert par l’épochè, de l’ego cogito, donc que nous ne fassions proposition de rien que nous ne voyions nous-mêmes.

C’est en cela que Descartes a failli, et c’est pour cela qu’il en resté au seuil de la plus grande de toutes les découvertes qu’il a déjà faite en un certain sens bien qu’il n’en ait pas saisi la véritable signification ; voilà pourquoi il n’a pas compris le sens de la subjectivité transcendantale et n’a pas pu franchir ce seuil qui conduit à la vraie philosophie transcendantale.>

La libre épochè phénoménologique

< La libre épochè, par rapport à l’existence du monde qui se manifeste à travers des phénomènes et qui, pour moi, vaut pour effectif – effectif du point de vue de l’attitude antérieure et naturelle –révèle, en effet, ce fait, le plus considérable et le plus étonnant, que moi-même et ma vie restent intacts au regard du crédit que j’accorde à leur être, que le monde soit ou ne soit pas, et quelle que soit la décision qu’on prenne à ce sujet. Si, dans la vie naturelle, je dis : ‘Je suis, je pense, je vis’, cela signifie : moi, cette personne humaine parmi d’autres hommes dans le monde, entretenant de par mon corps propre, un rapport concret avec la nature, relation qui intègre également mes cogitationes, mes perceptions, mes souvenirs, mes jugements, etc., en tant que faits psychophysiques. Ainsi appréhendés, je suis et nous sommes, hommes et animaux, des thèmes de recherche pour les sciences objectives, la biologie, l’anthropologie et la zoologie, y compris le psychologie. La vie psychique, dont traite toute psychologie, est comprise comme vie psychique dans le monde. L’épochè phénoménologique, qu’exige de moi, qui philosophe, la démarche des Méditations cartésiennes purifiées, met hors circuit, en les excluant du champ de mon jugement, non seulement la validité de l’existence du monde objectif en général, mais autant les sciences du monde, et même en tant que faits mondains. A mes yeux, il n’y a donc pas de moi et aucun acte psychique, aucun phénomène psychique au sens de la psychologie, à mes yeux, il n’y a pas non plus de moi en tant qu’homme ni mes propres cogitationes, considérées comme éléments constitutifs d’un monde psychophysique. Mais, en contrepartie, je suis parvenu à moi, et, désormais, à moi seul en tant que ce moi pur, doté d’une vie pure et d’une capacité pure (par exemple, de cette capacité évidente : je suis capable de m’abstenir de juger), grâce à quoi, pour moi, l’être de ce monde et de chaque être quelconque acquiert seulement sens et validité possible. Si le monde, puisque son éventuel non-être ne supprime pas mon pur être, bien plutôt le présuppose, est dit transcendant, cet être mien pur, ou ce ‘je’ pur qui est le mien, est dit transcendantal. Grâce à l’épochè phénoménologique, le moi humain naturel, c’est-à-dire le mien, est réduit au ‘je’ transcendantal, et c’est ainsi qu’il faut comprendre ce que l’on entend par réduction phénoménologique.>

Avec l’ego transcendantal naît une perspective philosophique nouvelle

< Il est cependant nécessaire de franchir encore d’autres étapes qui seules permettront de mettre correctement à profit ce qui vient d’être dégagé. Que peut-on entreprendre, dans une perspective philosophique, avec l’ego transcendantal [6] ? Certes, son être précède, selon le critère d’évidence – pour moi qui philosophe – et du point de vue de la connaissance, tout être objectif. En un certain sens, il s’agit bien du fondement et de la base sur quoi toute connaissance objective, correcte ou erronée, se déroule. Mais cette priorité, le fait d’être présupposé par toute connaissance objective signifie-t-il pour autant qu’on aurait affaire à un fondement de la connaissance au sens habituel propre à cette connaissance objective ? On est bien près d’en avoir l’idée et de succomber à cette tentation ; c’est précisément celle à laquelle cède toute théorie réaliste. Mais la tentation s’évanouit d’aller chercher, dans la subjectivité transcendantale, des prémisses qui serviraient à poser l’être du monde subjectif, si nous réfléchissons au fait que routes les déductions que nous menons à terme, appréhendées de manière pure, se déroulent elles-mêmes au sein de la subjectivité transcendantale, et que toutes les vérifications qui se rapportent au monde ont pour critère le monde lui-même, tel qu’il se donne et se vérifie lui-même dans l’expérience. Non que nous voulions déclarer fausse cette grande pensée de Descartes qui le conduit à chercher, dans la subjectivité transcendantale, le fondement ultime des sciences objectives et de l’existence du monde objectif lui-même. Nous nous écarterions alors, même en la soumettant à la critique, de la voie propre à sa méditation. Mais peut-être la découverte cartésienne de l’ego débouche-t-elle sur une idée nouvelle de fondation (Begründung), c’est-à-dire sur une fondation transcendantale.

En fait, au lieu d’exploiter l’ego cogito comme une simple proposition apodictique et comme une prémisse absolument fondatrice, tournons notre attention vers ceci : l’épochè phénoménologique nous a ouvert (ou à moi qui philosophe), grâce au je suis de toute façon apodictique, une sphère infinie d’être et d’un type nouveau, la sphère d’un type nouveau d’expérience, l’expérience transcendantale ; mais ainsi est offerte également la possibilité d’une connaissance transcendantale fondée sur l’expérience, donc d’une science transcendantale.

Alors se découvre un horizon de connaissance tout à fait remarquable. L’épochè phénoménologique me réduit à mon moi transcendantal pur, et, dans un premier temps du moins, je suis, en un certain sens, solus ipse : non pas au sens courant où l’on s’imaginerait, par exemple, un homme resté seul survivant dans un monde toujours existant après l’effondrement de tous les astres. Si j’ai banni du champ de mon jugement le monde comme monde tenant de moi le sens de son existence et le recevant en moi, ‘je’, c’est-à-dire le moi trancendantal qui le précède, suis la seule instance qui puisse être établie et posée par le jugement. Et maintenant, j’ai pour tâche de parvenir à une science d’une singularité inouïe, puisqu’elle doit être conçue exclusivement par et dans ma subjectivité transcendantale, qu’elle n’aura de validité, au début du moins, qu’au regard de ma subjectivité : une science transcendantalo-solipsiste. Ce n’est donc pas l’ego cogito, mais une science de l’ego, une pure égologie qui doit être le fondement le plus radicalement premier de la philosophie, au sens cartésien d’une science universelle, et qui doit fournir au moins le soubassement sur lequel aura lieu la fondation absolue de cette science. En fait cette science existe déjà : c’est la toute première phénoménologie transcendantale ; non pas la phénoménologie achevée qui requiert, bien entendu, que soit franchie cette autre étape qui conduit du solipsisme transcendantal à l’intersubjectivité transcendantale.(…)

Pour le philosophe, il doit être établi, à titre de vision fondamentale que ce qui est le centre du problème, qu’il est en mesure, dans la suspension qu’est la réduction phénoménologique, de développer une réflexion cohérente sur ses cogitationes et sur leur contenu purement phénoménologique, et de dévoiler alors, sous ses multiples aspects, son moi transcendantal dans sa vie transcendantalo-temporelle et dans ses capacités propres. Il s’agit là, visiblement, d’un parallèle avec ce que le psychologue appelle expérience intérieure ou expérience de soi au sein de la mondanité telle qu’il la présuppose.>

SYNTHÈSES PROPOSÉES PAR LÉVINAS

Méditations cartésiennes et phénoménologie [7]

Dans les Méditations cartésiennes, il est une part qui vaut pour la phénoménologie

« Dans les Médications cartésiennes, Husserl montre comment par sa recherche d’une science absolument certaine à la base de tout savoir, la phénoménologie se rapproche du cartésianisme. Le doute qui entache la connaissance du monde reste, comme dans les Ideen, le motif fondamental qui incite à suspendre tout jugement portant sur le monde et à reconstituer les sciences à partir de l’existence absolument évidente du cogito. Toutefois, contre Descartes, il ne s’agit pas de faire jouer au cogito le rôle du premier axiome dont découlerait une théologie, une cosmologie, une psychologie et ultérieurement une science strictement rationnelle. Seules les deux premières méditations de Descartes valent pour la phénoménologie. »

Analyser tout ce que le cogito contient de certain

« [D’après Husserl, c’est cette analyse du cogito qui s’impose]. L’objet de chaque pensée en tant qu’objet de pensée (existence objective de Descartes) appartient à la sphère de la certitude [8]. La direction dans laquelle Descartes s’engage dans les deux premières méditations [9] trouve, d’après Husserl, son prolongement naturel dans la phénoménologie qui poursuit [précisément] la constitution du monde en tant qu’existence ‘objective’. Ses Méditations carté- siennes se donnent précisément pour tâche d’esquisser cette constitution du monde dans la sphère de la certitude absolue du cogito, de courir jusqu’au bout l’aventure cartésienne qui tient à la destinée même de l’esprit humain. »

Comment interpréter ce jusqu'au-boutisme ?

« Est-ce à dire que dans son aspiration à la science absolument certaine, Husserl veuille nier purement et simplement la certitude de l’existence ‘formelle’ du monde et soutenir que la pensée est rivée au doute de Descartes qui ne serait plus méthodique mais définitif ? Ce serait méconnaître la signification du problème de la certitude et du fondement scientifique chez Husserl. S’il voyait dans le savoir un fait dernier dont il n’y a pas lieu de chercher plus loin la signification, si certitude et incertitude fonctionnaient comme indice des propositions exprimant ce savoir, nous pourrions dire que pour Husserl l’existence ‘formelle’ du monde ne saurait être connue avec certitude. Or, il n’en est rien. »

Et pour quelle raison ?

« [C’est parce que] la certitude du cogito caractérise la situation d’un esprit qui, au lieu de se comporter comme un être parmi d’autres êtres, se retrouve au moment où il neutralise toutes ses relations avec le dehors. Le cogito est une relation où l’esprit existe en tant que commencement, en tant qu’origine. La certitude n’est pas en lui l’indice d’un savoir, mais d’une situation, de la situation qui s’appelle conscience. Elle consiste d’après les analyses de Husserl dans la parfaite adéquation de ce qui est visé et de ce qui est atteint par la perception interne. Mais cette adéquation tient elle-même au mode d’existence de la conscience[10], à une existence qui dans le présent est maîtresse d’elle-même. La liberté de la conscience dans le présent contient la raison profonde de l’absolue évidence du cogito. Ou plutôt, le savoir évident contenu dans le cogito s’identifie avec l’accomplissement même de cette liberté de l’esprit. L’évidence et la clarté apparaissent comme les modes d’existence de l’esprit. Le vrai savoir et le savoir vrai – c’est la liberté. Et dans ce sens il n’existe de savoir que de soi. »

En quoi consiste, par contre, l’incertitude du monde extérieur ?

« En ce que l’expérience que nous en avons ne se compose jamais d’évidences pures. La lumière de l’évidence n’éclaire pas la totalité de ce qui a été visé dans la perception. La chose s’annonce dans une multiplicité d’aspects, multiplicité infinie. En principe, chaque nouvel aspect peut détruire en le contredisant ce qui semblait déjà acquis. L’incertitude de la perception externe tient donc à l’incertitude même de son présent, à l’asservissement essentiel de ce présent à l’égard d’un avenir infiniment ouvert. En posant l’existence de la chose comme un absolu, l’esprit s’engage au-delà de ses possibilités. Il aliène en quelque manière sa liberté. A travers l’immanence de son présent, il doit dans son existence authentique considérer toute transcendance. »

Avant d’être un commerce, la coexistence du sujet avec autre chose est une relation d’intellection

« Rien ne peut entrer en l’esprit. Tout vient de lui. En ce sens, Husserl pose le sujet en tant que monade. Le sujet peut dans son for intérieur rendre compte de l’Univers. Toute relation avec autre chose s’établit dans l’évidence et a par conséquent son origine en lui. Sa coexistence avec autre chose, avant d’être un commerce, est une relation d’intellection. Le monde peut se traduire en termes de son expérience subjective, le moi détient les fils de toutes les couches de la réalité, de toutes ses formes, si éloignées qu’elles soient de la subjectivité. La vérité ne consiste pas pour la subjectivité à contempler naïvement cette réalité dont elle constitue le sens et à s’abandonner par conséquent purement et simplement à cette réalité comme à une base de son existence. La vérité, manière d’exister, consiste à situer cette réalité dans la configuration du sens qu’elle a pour le sujet, lequel peut entièrement en rendre compte. »

L’idéalisme de Husserl

« Dire que le sujet est une monade, c’est en somme nier l’existence de l’irrationnel. L’idéalisme de Husserl qui s’exprime le mieux par cette position du sujet en tant que monade ne consiste pas simplement à dire que le monde de notre perception se réduit à des contenus psychologiques comme le voudrait l’idéalisme berkeleyen. Car l’idéalisme berkeleyen n’explique pas au fond en quoi les contenus psychologiques sont plus subjectifs que le monde extérieur qui s’y ramène. L’idéalisme de Husserl essaie de définir le sujet en tant qu’origine, en tant que lieu où toute chose répond d’elle-même. Le sujet est absolu non pas parce qu’il est indubitable, mais il est indubitable parce qu’il répond toujours de lui-même et à lui-même. Cette suffisance à soi caractérise son absolu. La phénoménologie explicite cette réponse du sujet à lui-même. Elle met en action la liberté en nous. »

La constitution de l’objectivité complète à partir du domaine de la monade qui est mien

« Les Méditations de Descartes trouvent donc, d’après Husserl, leur achèvement dans la lucidité de la monade où se constitue le sens de toute réalité. Dans la cinquième section [11] de l’ouvrage que Husserl leur consacre, il esquisse précisément la constitution de l’objectivité complète à partir du domaine rigoureusement mien de la monade. L’objectif étant ce qui a un sens intersubjectif, Husserl montre comment se constitue l’intersubjectivité à partir du solipsisme de la monade. Solipsisme qui ne nie pas l’existence d’autrui, mais décrit une existence, qui, en principe, peut se considérer comme si elle était seule. »

Analyses de Husserl ici différées et conclusion

« Nous ne résumerons ni ne critiquerons les analyses de Husserl qui lui permettent de suivre la constitution de la relation sociale en tant que sens de la monade, la constitution de la relation complexe de la présence d’autrui pour moi [12], le sens de ma présence pour autrui qu’elle implique, la constitution de la notion même de l’objectif, c’est-à-dire de l’universellement valable dans lequel se constituent dès lors la réalité, les sciences et la phénoménologie elle-même. Notons simplement, dans toutes ces analyses, le rôle du corps et de ma réflexion spécifique au corps.[13]»

« Il importe en conclusion de cet aperçu sur les Méditations cartésiennes, de marquer la position philosophique de Husserl qu’elles permettent de préciser. Il n’y a pour Husserl, avant l’exercice de la pensée, aucune force supérieure qui la domine. La pensée est une autonomie absolue.[14] »

Mouvement et Intentionnalité [15]

Le rôle de la sensation dans la conscience

« [Si, comme on vient de le voir, le sujet est indubitable parce qu’il répond toujours de lui-même et à lui-même], le rôle de la sensation dans la conscience est à même d’élargir encore la subjectivité du sujet. Là encore, l’héritage de l’empirisme est, d’abord, assumé. Mais alors que, pour celui-ci, la conscience se ramène à un conglomérat de sensations et les sensations au retentissement psychologique des modifications corporelles [16], la description de la sensation par Husserl enlève aux catégories physico-physiologiques le privilège de faire comprendre le sens ultime du corps, de la conscience et du rapport qui existe entre eux.

La sensation n’est pas l’effet du corps. Elle introduit, dans une relation qui se maintient comme la polarité sujet-objet, une appartenance du sujet à l’objet. Non pas à titre d’effet causal dans l’ordre objectif, ni à titre de partie intégrante dans cet ordre, ni, non plus, en incluant l’objet dans le sujet par la médiation de ‘sensations subjectives’ en lesquelles, à la façon de l’idéalisme berkeleyen, l’objet se dissoudrait. Il s’agit d’une configuration nouvelle : le sujet (corps) est en face de l’objet (sensation) et il est de la partie ; la corporéité de la conscience mesure exactement cette participation au monde qu’elle constitue ; mais cette corporéité se produit dans la sensation. La sensation est décrite comme ce qui est senti ‘sur’ et ‘dans’ le corps et ce par quoi dans toute expérience sensible ‘le corps est de la partie’ (mit dabei).

La chaleur de l’objet se sent à la main, le froid ambiant aux pieds, le relief ‘au bout du doigt’. Ces états que dans Ideen II Husserl appelle Empfindnisse[17] effacent par leur indétermination même la structure sentir-senti, sujet-objet, que suggère encore le mot Empfindung. »

 Extension spécifique des ‘sentances’ qui se réfèrent à la fois au corps et aux objets : une expérience dans l’espace

« L’extension de ces sentances diffère de l’extension spatiale. Mais cette extension spécifique fait que l’expérience sensible n’est pas seulement expérience de l’espace, mais, par une espèce d’itération immédiate, une expérience dans l’espace. C’est le propre de la donnée hylétique [18] ; l’intentionnalité seule est vécue comme indifférente à l’espace et accrédite encore un sujet immuable dans son absolu.

‘L’ensemble de la conscience d’un homme est lié par cette couche hylétique d’une certaine façon avec son corps, alors que les Erlebnisse [19] intentionnels eux-mêmes, ne sont plus, à proprement parler, localisés d’une manière directe ; ils ne constituent pas de couche dans le corps. La perception en tant qu’appréhension tâtonnante (tastendes Auffassen) de la forme, n’a pas son siège dans le doigt qui tâte et où se localise la sensation tactile ; la pensée n’est pas réellement dans la tête, d’une façon intuitive, comme le sont les sentences de la tension’, etc. [20]. De par la sensation, la relation avec l’objet s’incarne : on peut dire que la main touche, que la langue goûte et que l’œil voit – avant que ces banalités ne se constatent par une perception externe et sans que ce dire indique la vérité physiologique du recours (accidentel peut-être, pour une méta- physique spiritualiste), de la pensée aux organes des sens.

Mais ce titre ne traduit pas davantage une donnée introspective, laquelle suppose une attitude où l’intériorité s’oppose à l’extériorité. L’analyse des sensations en tant que sentances signifie précisé- ment l’éclatement de ce schéma et de cette opposition. N’est-ce pas là le sens même de la neutralité de la conscience réduite, si toutefois on veut prendre au sérieux l’importance que Husserl arrache à la réduction : découverte d’un écran où se dessine toute signification susceptible d’apparaître, tout phénomène et où peut, par conséquent, se révéler – sans se démentir par là-même – la rupture avec le schéma sujet-objet, intériorité-extériorité ? Le corps s’y montrera comme le point central, comme le point zéro de route expérience et déjà comme emboîté dans cette expérience par une espèce d’itération fondamentale dont la sensation est l’événement même. Ce n’est pas par simple souvenir de l’empirisme que la sensation, avec ce qu’elle comporte d’ambivalent par rapport aux structures tranchées du dualisme cartésien, constitue le concret de la perception, inéluctable et inoubliable pour toute compréhension philosophique. La philosophie commence dans l’‘esthétique transcendantale’ de la Krisis. La nature spatiale et géométrique, la res extensa de la science, est le seul aspect abstrait du monde. »

Différence entre sentances et sensations kinesthésiques

« Le corps n’est pas seulement dépôt et sujet des sentances : il est organe du libre mouvement, sujet et siège des sensations kinesthésiques. Des intentions les animent et leur prête une signification par rapport au transcendant ; non pour figurer des ‘qualités d’objet’, ni même pour décrire, comme le permettent les sentances, la sphère – mais originelle – de ce qu’un cartésien appellerait l’union de l’âme et du corps, mais pour conférer au sujet en tant que sujet une mobilité et au réel perçu une essentielle relativité à l’égard de cette mobilité. Les sentances sont constitutives des qualités objectives ; les sensations kinesthésiques, animées d’intentions, sont ‘motivation’. Le monde ne se constitue pas comme entité statique, d’emblée livré à l’expérience, il se réfère à des ‘points de vue’ librement adoptés par un sujet qui, essentiellement, marche et possèdes des organes mobiles : si tel mouvement de l’œil…alors telle modification du vu, si telle inclinaison de la tête…alors tel changement du spectacle, si tel mouvement de la main qui tâte…alors telle nouveauté dans le relief [21], etc. La sensation kinesthésique n’est pas un contenu senti signalant ces modifications ; elle est toute modale. Le conditionnel est dans le sentir lui-même. ‘A toute perception appartiennent des fonctions de spontanéité. Les processus (Verlaüfe) des sensations kinesthésiques sont des processus libres et cette liberté dans la conscience de l’écoulement des sensations est une pièce essentielle de la constitution de l’espace [22]’. La représentation est d’emblée relative aux mouvements du sujet et à leur possibilité, positive dans la kinesthèse. Le sujet n’est pas l’œil d’une caméra immobile à qui tout mouvement est objet. L’espace, comme champ de mouvements organiques et de marche de tout le corps, porte déjà la représentation de l’espace. Le sujet se meut dans l’espace même qu’il va constituer. Le sujet ne se tient pas dans l’immobilité de l’absolu où s’installe le sujet idéaliste ; il se trouve entraîné dans des situations qui ne se résolvent pas en représentations qu’il pourrait se faire de ces situations. »

Ce qu’est la kinesthèse chez Husserl : l’originelle mobilité du sujet

« L’évocation des kinesthèses ne sert pas à bâtir, comme à l’époque de l’empirisme intégral, une extériorité à partir d’éléments inétendus, purement qualitatifs de la sensation. Combien est caractéristique du destin de la pensée husserlienne, ce retournement du sens des notions qu’elle semble retenir de son époque et même lui apporter ! L’attention prêtée aux recherches psychophysiques et psychophysiologiques aboutit à la découverte de la sphère du corporel réfractaire au schéma sujet-objet, itérarif d’une itération originelle ; à la découverte d’un Spirituel (dont on ne peut même pas dire qu’il s’incarne, car d’emblée et dans sa pureté, il est mixte) inséparable de la localisation, du recours aux organes par lesquels se constituent seulement les organes, inséparable de la marche par laquelle se constitue seulement l’espace où la marche est possible. La kinesthèse n’est pas l’équivalent psychique du mouvement corporel enregistré ou reflété par un sujet, de soi immobile, (immobile de cette immobilité idéaliste qu’aucune matière empirique ne saurait égaler) et qui, à la façon hégélienne, finit par appartenir au monde qu’il pense et faire structure avec les choses du monde. La kinesthèse est chez Husserl l’originelle mobilité du sujet. Le mouvement et la marche sont dans la subjectivité même du sujet. Certes, l’intention n’est pas dans l’espace et on comprend l’illusion idéaliste. Mais qu’est-elle sans la sensation ? Si Husserl avait évacué de son ‘système’ la sensation, la transcendance de l’intentionnalité n’aurait pas su prendre le sens fort de la ‘présence au monde’. Par la sentance et par la kinesthèse le sujet marche dans ce monde sans que la préposition dans signifie une relation purement représentée, sans que la présence au monde se cristallise en structure. La philosophie qui apportait l’idée de structures éidétiques, aboutit aussi à dénoncer radicalement l’idée de la fixité structurale – de sa simultanéité indéphasable – en introduisant le mouvement dans la subjectivité du sujet et la motivation conditionnelle dans sa présence même. »

Transcendance et kinesthèse

« Les kinesthèses ne reçoivent pas d’intentions représentatives, mais une ‘appréhension d’un tout autre type’, qui place toute appréhension représentative dans le conditionnement du ‘si…alors’. Motivation qui, bien entendu, n’est pas la représentation d’un raisonnement, fût-il pré-prédicatif ou implicite. Elle est de l’ordre du mouvement possible, à partir de l’œil qui parcourt l’horizon, de la tête qui tourne à gauche et à droite, du pied qui foule d’ores et déjà le sol – plutôt que de l’ordre de la contemplation évaluant, à distance, les possibles. Ne faut-il pas comprendre la transcendance, au sens étymologique du terme, comme un franchissement, un enjambement, une marche plutôt que comme représentation, sans détruire par là l’essentiel du sens métaphorique de ce terme ? La transcendance se produit par la kinesthèse : la pensée se dépasse non pas en rencontrant une réalité objective, mais en entrant dans ce monde, prétendument lointain. Le corps, point zéro de la représentation est au-delà de ce zéro, déjà intérieur au monde qu’il constitue, ‘côte à côte’ tout en se plaçant ‘en face de…’, formant ce mixte que Merleau-Ponty appellera historicité fondamentale. Mais dans ce monde aussi en face du monde et avant le monde, se refusant à la contemporanéité structurale. Marche dans l’espace du sujet constituant l’espace, comme devenir de la constitution du temps à partir de la proto-impression : ‘ce qui temporalise’ est déjà ‘temporalisé’. Itération originelle – dernier secret de l’historicité du sujet ! Diachronie plus forte que le synchronisme structural. »

Un ‘je pense’ supérieurement concret et quasi-musculaire

« Par la signification motivante des kinesthèses, la transcendance est ‘conscience du possible’, lequel n’est ni simple absence de contradictions pour une pensée objectivante, ni même la conscience de ce ‘je peux’ qui accompagnerait tout rayon de pensée sortant du Moi pur et se manifesterait dans la liberté de l’attention. Il s’agit maintenant d’un ‘je pense’ supérieurement concret et quasi-musculaire. Il ne consiste pas à enregistrer, dans l’effort, la résistance du monde à la volonté, mais à disposer de toutes les ressources d’une volonté placée ainsi, en tant que volonté, dans un monde du ‘si…alors’. Dans ce sens le corps est pour Husserl le pouvoir de la volonté. Les kinesthèses, c’est la volonté concrètement libre, capable de se mouvoir et de ‘se retourner’ dans l’être. Le corps n’est pas un accident arrivé à une contemplation déchue de l’Empyrée, mais l’organe d’une contemplation réellement libre se muant en pouvoir, de la transcendance par excellence, passant de l’intention à l’acte, et transgressant les limites à l’avance dessinées de la structure. »

Sensation et Phénoménologie [23]

La théorie du sensible de Husserl

« On peut s’imaginer savoir alors qu’on ne sait pas » – c’est là, d’après le Sophiste [24], la plus grande incompréhension. Mais les hommes s’y tiennent, y énoncent des propositions acceptables et techniquement efficaces. La visée de l’être absorbée dans l’être qu’elle imagine saisir, assure une culture fonctionnant d’une façon satisfaisante. Mais ignorant ses ignorances, elle est inconsciente et irresponsable. Ouverte à toutes les interprétations et sans défense, elle peut être flouée. Le psychologisme dont la critique servit de cause occasionnelle à la phénoménologie, représente le prototype de cette aliénation : sur la pensée logique se mit à planer le soupçon d’accomplir tout autre chose que ce qu’elle prétendait accomplir. Par-delà la logique, le soupçon plane sur toutes les formations culturelles. Tout ce qui a signification – art, religion, morale, état, science même – n’aurait pas la signification qu’il prétend avoir, serait suspect de faux-sens dans un foisonnement de formes qui se surimpriment et muent infiniment. N’est-on pas dupe d’influences sociales et subconscientes ? Qui tire les ficelles ? La philosophie husserlienne recherche la source de tout sens en démêlant les fils de l’enchevêtrement intentionnel. Son effort ne consiste qu’à déterminer ce qu’on ne sait pas quand on croit savoir et à mesurer l’aliénation – essentielle – de la culture. ‘Notre époque, écrit Husserl presque à la veille de la guerre de 1914, est une grande époque. Seulement elle souffre du scepticisme qui a dissous les vieux idéaux non-clarifiés’. Au scepticisme paresseux dénonçant les illusions d’une culture incontrôlée, Husserl oppose le travail d’une critique optimiste, une recherche des mouvements originels des intentions dont nous ne connaissons que l’indistincte sédimentation et les épaisses alluvions. Lutter avec l’aliénation où nous jette une pensée dissimulant ses origines, percer le secret des détournements cachés des significations, surmonter l’inévitable naïveté de la spontanéité – tel est le propos de la phénoménologie husserlienne.

Ainsi la remontée à la conscience transcendantale n’est pas un idéalisme de plus, mais la remontée au Phénomène, à ce qui fait luire un sens, interruption de cette prolifération de sens dont on ne connaît pas l’origine, où nous baignons. Pour cela, il ne suffit pas de retrouver une intériorité psychique quelconque – qui, en tant que psychique et en tant qu’intériorité – appartient elle-même à ces significations qui restent à éclairer. Il y faut un terrain originel et neutre qui se trouve, pour Husserl, dans les profondeurs de l’intersubjectivité où toutes significations – celle d’intériorité, d’extériorité, de corporéité, de spiritualité, etc. – luit de sa première lumière de sens, d’une lumière qu’elle ne peut avoir empruntée à rien d’autre. Et rien ne saurait mette en question cette lumière originelle sans déjà en avoir été éclairé. Privilège que revendiquaient, peut-être, les natures simples de Descartes. Husserl ne doute pas qu’un tel terrain existe. Il existe une origine – est sa certitude première [25].

Cette origine sans laquelle la pensée reste exilée (et cela veut dire sans fondement, sans a priori [26]) n’est pour Husserl ni Cause première, ni Principe dont tout découle. Elle est proto-impression. Comment l’a priori peut-il être expérience ? L’expérience a toujours été comprise comme essentiellement incertaine de ses prétentions et, dans ce sens, comme égarant la pensée. La nouveauté de la phénoménologie consiste à réduire ‘l’expérience-prétendant-à-une-vérité’ à une conjoncture ayant une signification par elle-même, c’est-à-dire source d’une œuvre transcendantale à partir de laquelle la notion même de la vérité prendra seulement un sens. Ces significations sont la clarté originelle. Dans le langage husserlien ce retournement s’appelle Réduction transcendantale. Les contemporains qui ne l’accomplissent pas selon les règles de l’art définies par Husserl se placent néanmoins sur son terrain. L’expérience pour eux est source de significations. Elle est éclairante avant d’être probante.

La conscience réduite répond-elle à cette demande de sol premier et neutre ? Essentiellement ‘impressionnelle’ n’est-elle pas possédée par le non-moi, par l’autre, par la ‘facticité’ ? La sensation n’est-elle pas la négation même du travail transcendantal et de la présence évidente qui coïncide avec l’origine ? Par sa théorie du sensible, Husserl restitue à l’élément impressif sa fonction transcendantale. Dans sa masse remplissant le temps, il découvre une première pensée intentionnelle qui est le temps même, une présence à soi à travers le premier écart, une intention dans le premier laps de temps et la première dispersion ; il aperçoit au fond de la sensation une corporéité c’est-à-dire une libération du sujet à l’égard de sa pétrification même de sujet, une marche, une liberté qui défait la structure. »



[1] M. de Launay est le traducteur français des Méditations cartésiennes et Les Conférences de Paris, qui correspondent à l’édition allemande des Husserliana et ont été publiées par les PUF en 1994.
[2] « Husserl, par ailleurs membre correspondant de l’Académie française, répon- dait à une invitation de l’Institut d’études germaniques, puis de la Société française de philosophie, dirigée par Xavier Léon. Ces conférences (deux fois deux heures) furent prononcées dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne…Cf. la lettre de Mme Malvina Husserl à Roman Ingarden du 24 mars 1929 :« (…) En ouverture (l’ambassadeur d’Allemagne et son premier conseiller étaient également présents), Xavier Léon fit une allocution consacrée à mon mari et à la fin, le célèbre germaniste Charles Andler déclara, en allemand, que, après le trouble refus posthégélien, la philosophie allemande connaissait avec Husserl un nouvel essor classique, etc. Nous fûmes (j’ai honte de dire ‘ nous’) le clou de grandes réceptions et d’autres invitations, et le dernier jour (nous avons passé deux semaines à Paris) nous étions encore invités à dîner à l’ambassade. [Sur le chemin du retour à Fribourg], les quatre jours passés à Strasbourg se sont déroulés tout autrement, mais dans une atmosphère tout aussi cordiale et avec un même retentissement ; il y fit [deux conférences dont une] sur son évolution depuis les Recherches logiques et les Idées…devant cinquante ou soixante personnes manifestant un intérêt particulier pour son œuvre, et qui avaient été invitées par Jean Héring ; parmi l’auditoire, les deux facultés de théologie étaient très fortement représentées… »
[3] Pour l’essentiel, donc, les Méditations furent écrites en l’espace de sept semaines…Le premier dactylogramme des trois premières Méditations a fait l’objet de trois remaniements successifs, et celui des deux dernières a également fait l’objet de révisions dont la dernière a donné à la cinquième Méditation ses actuelles dimensions. Le texte de ces conférences est inclus dans « Méditations cartésiennes et Les Conférences de Paris » (PUF, déc. 1994) aux pages 1 à 41.
[4] Begründung, fondation. Begründen signifie fonder au sens de : appuyer sur des motifs ou des raisons. La Begründung est la preuve, ou plus précisément ce sur quoi la preuve repose, qui la constitue en tant que telle. (C’est cette traduction qui a été retenue par aillleurs par Paul Ricoeur).
[5] C’est en effet à partir de la troisième Méditation que Descartes identifia le cogito avec l’‘âme’.
[6] « Le transcendantal est l’index objectif progressif d’une structure universelle appartenant à l’ego de manière tout à fait déterminée. Cette structure régit aussi bien les cogitata effectifs que les potentialités de la faculté de penser. Or il appar- tient précisément à l’essence de l’ego d’être sous la forme d’une conscience effective ou possible – possible en fonction des formes subjectives qui lui sont inhérentes, du je peux, du pouvoir. L’ego est ce qu’il est en rapport à des objets intentionnels ; il a toujours de l’étant et du possiblement étant. Il appartient donc à son essence de former et d’avoir formé continuellement des systèmes intention- nels dont l’index sont les objets visés, pensés, évalués, traités, imaginés, à imagi- ner, etc., par lui.Mais l’ego lui-même, son être, est être pour soi-même, y compris son être avec toutes les particularités ontiques qui lui appartiennent. Cet être est constitué en lui et continue de se constituer pour lui. L’être-pour-soi-même de l’ego est être dans une autoconstitution continue. Celle-ci forme, de son côté, la base pour toute constitution de ce qu’on appelle les réalités transcendantes, les objectivités mondaines. »
[7] Cette synthèse est proposée par Lévinas dans « En découvrant l’existence avec Husserl… » (Vrin, 2001) aux pages 65 à 68.
[8] Le monde que retrouvera Husserl après la constatation du cogito ne dépassera d’ailleurs pas cette existence ‘objective’.
[9] Il dévie d’ailleurs à partir de la troisième méditation, lorsqu’il identifie le cogito avec l’ ‘âme – c’est-à-dire avec un objet se trouvant dans le monde – et lorsqu’il en déduit Dieu et l’existence ‘formelle’ du monde.
[10] Ideen, p.80 ; « Cette situation n’existe que pour le ‘moi’ ainsi que pour le courant des évènements avec soi-même, c’est seulement ici qu’il existe quelque chose comme de la perception immanente, et c’est bien ainsi qu’il en est ».
[11] Il s’agit de la Cinquième Méditation.– Dévoilement de la sphère d’être trans- cendantale comme intersubjectivité monadologique. Elle comporte 21 paragra- phes numérotés de 42 à 62.
[12] « La Trace de l’Autre » est paru dans Tijdschrift voor Filosofie, 1963, N°3 et intégré dans « En découvrant l’existence avec Husserl… » [Raccourcis]. Vrin, 2001.Comme l’indique le Sommaire des Conférences de Paris, Husserl a traité de l’alter ego dans les perspectives suivantes : « ‘L’intuition constituante’(Einfühlung) de l’alter ego et de l’intersubjectivité de la Nature et du Monde comme identique pour tous. La délimitation métho- dique des éléments de la sphère de la conscience donnée à l’ego par abstraction de tous ses constituants qui impliquent l’alter ego.L’ego proprement dit, ce ‘moi-même concret’ comme base de l’intuition constitu- ante de l’alter ego, intuition aperceptive et analogisante. Tout ce qui peut être l’objet d’une perception et d’une expérience originaires du ‘moi-même’. L’alter ego n’est pas directement perçu dans l’expérience secondaire de l’intuition constituante, mais forme l’objet d’une expérience indirecte, qui possède ses modes propres de vérification. Dans ma propre ‘monade’ dont je possède une expérience originaire se reflètent les autres monades (Leibniz). L’analyse de la constitution de l’alter ego le fait apparaître comme un ego transcendantal. La réduction phénoménologique s’élar- git ainsi jusqu’à l’intersubjectivité transcendantale, ensemble transcendantal des monades. Celle-ci est la base transcendantale de la constitution du monde objec- tif, identique pour toutes les monades de l’ensemble , et de la valeur intersubjec- tive des objectivités idéales. »
[13] Lévinas a fait état de ses réflexions sur ces différents sujets dans d’autres docu- ments. Seront donc précisés à la suite la ‘trace de l’Autre’ et le rôle du mouvement.
[14] « Il est très difficile, ajoute Emmanuel Lévinas, de prendre au sérieux les brèves indications sur Dieu que Husserl donne dans les Ideen en cherchant dans la merveilleuse réussite du jeu des intentions constituant un monde cohérent, une preuve finaliste de l’existence de Dieu. La monade invite Dieu lui-même à se constituer comme sens pour une pensée responsable devant elle-même. »
[15] Ce chapitre est proposé par Lévinas dans Commentaires nouveaux inclus dans « En découvrant l’existence avec Husserl… » (Vrin, 2001), .aux pages 217 à 222.
[16] « Retentissement compris dans un sens rigoureusement naturaliste », précise encore E. Lévinas.
[17] Le terme de « sentance » exprimerait peut-être assez bien le caractère diffus de la notion.
[18] Les contenus hylétiques sont les éléments de l’étoffe psychique qui se trouve à la base de l’intentionnalité ; ils se distinguent des qualités des objets, visées ou atteintes par l’intention transcendante.
[19] Modalités de la présence. On parle des contenus intentionnels : actes. (l’inten- tion est Erlebnis). Mais ce terme s’applique aussi aux contenus qui ne sont pas des actes, aux contenus non-intentionnels où nous reconnaissons les sensations de l’empirisme.
[20] Ideen II, p.153
[21] Ideen II, 57-58
[23] Ce chapitre fait directement suite au précédent aux pages 223-225 de « En découvrant l’existence avec Husserl… » Vrin, 2002.
[24] 230c
[25] Sur l’importance de l’idée d’origine chez Husserl, Eugen Fink exprima dans la Revue Internationale de Philosophie de Bruxelles, en 1939, les idées fondamen-tales et décisives.
[26] « La notion d’a priori matériel de Husserl fut comprise comme la fin de l’idéa- lisme transcendantal : l’Etre se manifeste, dans la connaissance, en original ou ‘en personne’ selon les structures mêmes qui le charpentent ; le sujet connaissant perçoit cette manifestation sans exercer aucune activité constituante. A vrai dire, la phénoménologie n’a jamais perdu la signification ontologique que lui prêtaient ses premiers partisans. »


Date de création : 23/10/2005 - 13:58
Dernière modification : 30/12/2006 - 13:50
Catégorie : Contributions|Henri Duthu
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