Espacethique : Emmanuel Levinas

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4. Vers une éthique de la responsabilité (Manuscrit)

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La saisie du concept de responsabilité dans la pensée de Lévinas dessine une frontière qui isole et sépare : l’humanisme de l’autre homme. La différence de l’homme avec l’homme est l’espace qui permet au sujet humain de fonder son existence à partir d’autrui et pour autrui. En ce sens, la véritable métaphysique est socialité[1]. Tout en s’interrogeant sur le divin, elle se tient dans le rapport avec Autrui. En présence du divin, elle découvre qu’Autrui est «plus près de Dieu que Moi»[2].

Le rapport que Lévinas entretien avec le divin «traverse le rapport avec les hommes et coïncide avec la justice sociale». Dieu ne supplante pas l’homme et l’homme ne se fait pas davantage le porte-parole de Dieu. A croire que dans le dialogue entre Dieu et l’homme, l’Autre n’est là que pour éveiller la conscience à la présence de l’autre homme. «La responsabilité personnelle de l’homme à l’égard de l’homme est telle que Dieu ne peut l’annuler»[3]. Pour Lévinas, autrui ne provoque pas d’allergie. Il est celui qui par son visage ouvre à l’au-delà, invite au dialogue et suscite une vigilance éthique.

La recherche du lieu originel de cette idée de l’Infini et de sa transcendance est sans doute l’un des problèmes principaux de la philosophie. Lieu à chercher dans les dimensions de l’humanité de l’homme [...]. Vigilance d’une responsabilité qui, de moi à l’autre, est transcendance dans laquelle l’altérité de l’autre, irréductible, me concerne moi en tant qu’élu et irremplaçable et ainsi unique et ainsi seulement unique, dans cette identité de je, au-dessus de toute forme hors tout ordre, que le travail de la constitution transcendantale déjà suppose. Le visage du prochain n’est-il pas le lieu originel où la transcendance appelle une autorité par une silencieuse voix où Dieu vient à l’idée ? Lieu originel de l’Infini[4].


Tout être vivant est-il le prochain du sujet humain ? Tout être proche manifeste-t-il l’humanisme de l’autre homme ? La substitution du Même et de l’Autre a-t-elle la même valeur que celle de l’Autre qui se révèle sous les traits d’autrui ? A (à lire grand «a») reste-t-il identique à lui-même en se révélant comme petit «a» ? Le rapport à l’autre homme questionne autant par son mystère d’unicité que par l’Absent qu’il révèle : autrui est prochain par la mise en question du Même[5]. Autrui se donne à connaître dans le concret de son immanence et signifie le commandement par lequel Dieu vient à l’idée. Dans ce cas, le mot «Dieu» introduit une méta-phore qui anime la transcendance dans l’expérience du corps humain.Dans sa mortalité, autrui arrache le sujet au sol où ce dernier se «pose et persévère naïvement»[6] et l’assujettit à la crainte pour l’autre homme : responsabilité et non plus angoisse. Peut-être le tort d’Emmanuel Lévinas consiste-t-il dans le fait de n’avoir pas cherché à construire de nouveaux concepts ou un jargon «lévinassien»[7] ! Toute la difficulté du lecteur réside bien souvent à dépasser l’ambiguïté des mots, recouverts par «du sens» ou «chargés» par des lectures idéologiques, pour suivre «à la trace» celui qui est «dans la trace d’autrui».

Comme la trace de la main qui efface la trace laissée par le pied dans le sable, ainsi la vie continue à se dire après avoir tenté d’effacer les traces laissées par le dit. L’image acoustique de la phrase française nous permet d’affirmer : «je suis ce que j’essuie». Le génie de langue espagnole permet de «dire Dieu» (decir a Dios) en disant «adieu» (adiós) à une manière de penser Dieu comme Etre[8]. Avec Lévinas, philosopher c’est effacer «la trace de ses propres pas et, sans cesse, les traces de l’effacement des traces, dans un piétinement méthodologique interminable»[9].

4.1. De l’idée de Dieu après Auschwitz

Prendre conscience, à travers l’épiphanie du visage, de l’ouverture à la transcendance c’est se permettre que l’idée de Dieu vienne à l’esprit sans chercher pour autant à la justifier ou à la retenir. Dans cette proximité métaphysique d’autrui, le sujet responsable accueille une droiture du face à face qui se refuse à toute manipulation du sens de la vie des autres[10]. Croire, dans ce cas, consiste à se laisser mettre en question par plus haut que soi. Dans les lignes qui suivent nous présentons l’accès à la transcendance comme une négation de toutes les images de Dieu[11]. L’accueil de l’idée de Dieu s’effectue sur le plan de la raison et emprunte au discours des religions révélées l’idée d’une séparation radicale –entre le Créateur et sa créature[12].

Chez Lévinas, l’irruption du transcendant repose sur l’événement d’un privilège sans nom[13]. Alors que certains parlent de péripéties de l’histoire, voire de thèses révisionnistes[14], Lévinas s’interroge sur le sens de sa vie et celle de sa famille humaine et spirituelle. Confronté dans sa chair à la situation limite de la mort et à la souffrance de la perte d’êtres chers, Emmanuel Lévinas emprunte un chemin dont l’événement traumatique plonge ses racines dans la petite enfance et que l’être humain ne peut accomplir que seul. Horrible insomnie, veille interminable où Autrui se tait ; ni l’être ni le néant constituent l’événement, mais la présence absence du tiers exclu, complice d’un silence bruissant[15]. Assumer l’être en cet instant, c’est exister en l’absence de tout étant, en l’absence de Dieu[16].

1941 ! –trou dans l’histoire– année où tous les dieux visibles nous avaient quittés, où dieu est véritablement mort ou retourné à son irrévélation. Un homme en prison continue à croire en un avenir irrévélé et invite à travailler dans le présent pour les choses les plus lointaines auxquelles le présent est un irrécusable démenti. Il y a une vulgarité et une bassesse dans une action qui ne se conçoit que pour l’immédiat, c’est-à-dire, en fin de compte, pour notre vie. Et il y a une noblesse très grande dans l’énergie libérée de l’étreinte du présent. Agir pour des choses lointaines au moment où triomphait l’hitlérisme, aux heures sourdes de cette nuit sans heures –indépendamment de toute évaluation de «forces en présence»– c’est, sans doute, le sommet de la noblesse[17].


a) idée de Dieu et pensée totalitaire

Avec Auschwitz et Hiroshima, l’intelligence moderne a réuni dans une même aventure mortelle Dieu et l’homme. Ballottée entre les autels et la guerre, «l’effroi devant le Sacré et l’angoisse du Néant»[18], la raison a recherché sa consistance davantage dans une affirmation de l’être (signification «raisonnable») que dans celle d’un à être (valeurs qui proposent un sens)[19]. Après Auschwitz, l’idée de Dieu s’est imposée comme une manière différente –voire même une «seconde religion»– de présenter Dieu et le sens de la souffrance humaine[20].

En réponse à l’affirmation totalitaire de la pensée humaine et son enracinement jusqu’au plus profond de l’être, Lévinas va –au sortir de la guerre– poursuivre son travail de bûcheron du stalag et s’attacher à faire tomber l’arbre de l’ontologie. S’il accepte d’évoquer l’idée de Dieu au cœur d’une souffrance extrême, c’est pour dépasser le soupçon philosophique et la persévérance dans une position religieuse primaire. Sa philosophie ne revendique pas un retour ontologique, mais un retour dans un jardin humain où l’homme est nu et où son dénuement est visage. Sa philosophie est recherche, éthique qui précède toute onto-logie et qui ne cherche pas à thématiser l’autre mais à se remettre sans cesse en question.

Il existe pour chaque génération un événement exceptionnel qui l’amène à la maturité. Il met en question les valeurs sur lesquelles les hommes vivaient et qui, jusqu’alors conservaient la puérilité des idées apprises ou reçues. L’événement entre avec cette épaisseur, avec ce format qui donne la certitude qu’un fait historique envahit votre vie. Il a un goût, incommunicable d’une génération à l’autre[21].


b) idée de Dieu et souffrance humaine

Chez Lévinas, la différence de l’humanité dans sa nudité ne donne pas «lieu» à la souffrance. La souffrance serait bien plus le non-lieu nécessaire à la naissance du sujet. La différence réside dans une non-indifférence, un entre-deux de la souffrance –entendu au sens d’ajournement de la mort– et qui «donne lieu» à un rapport de transcendance. L’approche du prochain ne suscite pas le recours à de savants subterfuges pour préserver son identité. Elle est «dévoilement» intentionnel, proximité responsable pour l’autre.

Au-delà de l’être, le sujet rencontre l’autre homme. Cette rencontre n’est pas chute originelle, mais «responsabilité à laquelle d’emblée je suis exposé, en fin de compte, jusqu’au fond de ma ‘position’ en moi, ma substitution à autrui»[22]. Le coupable ce n’est pas l’autre en tant que Même, mais le Moi. Le responsable c’est le Moi dans son intéressement pour la responsabilité de l’autre, c’est-à-dire dans son dés-intér-essement de soi[23]. Etre, c’est être en éveil : «relation éthique avec autrui, proximité du prochain»[24].

Certes, Autrui s’offre à tous mes pouvoirs, succombe à toutes mes ruses, à tous mes crimes. Ou me résiste de toute sa force et de toutes les ressources imprévisibles de sa propre liberté. Je me mesure avec lui. Mais il peut aussi –et c’est là qu’il me présente sa face– s’opposer à moi, par-delà toute mesure –par le découvert total et la totale nudité de ses yeux sans défense, par la droiture, par la franchise absolue de son regard. L’inquiétude solipsiste de la conscience se voyant, dans toutes ses aventures, captive de Soi, prend fin ici : la vraie extériorité est dans ce regard qui m’interdit toute conquête. Non pas que la conquête défie mes pouvoirs trop faibles, mais je ne peux plus pouvoir : la structure de ma liberté [...] se renverse totalement[25].


Pour faire entendre un Dieu non contaminé par l’être et qui ne mène pas seulement à l’arrière-monde proposé par l’institution du discours charitable[26], l’auteur s’attache à tirer de l’oubli «les êtres les plus proches parmi les six millions d’assassinés par les nationaux-socialistes». Il est conscient par ailleurs que «les difficultés de l’ascension –et ses échecs et ses reprises– s’inscrivent dans une écriture qui, sans doute aussi, atteste l’essoufflement du chercheur»[27].

Peut-on penser Dieu comme on pense l’homme[28] ? Planter la question de la transcendance, dans l’œuvre de Lévinas, oblige nécessairement à repenser le plan d’immanence dans lequel cette dernière se donne à connaître. Dans le corps-donné-pour-mort de la victime (histoire) et du survivant (mémoire), la différence se situe au-delà de ce qui sépare l’être du néant. Cette différence énonce l’autre de l’être –l’autrement qu’être– et pense la substitution comme une exposition sans merci au «traumatisme de la transcendance» : l’Autre a pris place en moi avant que je le désire[29]. Cet Autre ne saurait être visé. Dans son an-archie, il signifie sans cesse au-delà de l’au-delà : caresse, trace, patience.

Rien n’est gratuit. La masse demeure permanente et l’intéressement demeure. La transcendance est factice et la paix instable. Elle ne résiste pas aux intérêts. Et l’engagement mal tenu –celui de récompenser la vertu et de châtier les vices, malgré les assurances de ceux qui le prétendent pris à une échéance trop éloignée pour la distance qui sépare le ciel de la terre– accréditera d’étranges bruits sur la mort de Dieu ou sur le vide du ciel. Personne ne croira à leur silence.
Et cependant il faut dès maintenant se demander si même la différence qui sépare l’essence dans la guerre de l’essence dans la paix –car le commerce vaut mieux que la guerre, car le Bien a déjà régné dans la Paix– ne suppose pas cet essoufflement de l’esprit ou l’esprit retenant son souffle –où se pense et se dit depuis Platon l’au-delà de l’essence. Et il faut dès maintenant se demander si cet essoufflement ou cette retenue n’est pas l’extrême possibilité de l’Esprit porteur d’un sens d’au-delà de l’Essence
[30].


4.2. D'une autre manière d'accueillir l'idée de Dieu

Que signifie «passer à l’autre de l’être» ? L’argument (chapitre premier de Autrement qu’être) tente de préciser l’enjeu d’un tel passage : échange qui est commerce, c’est-à-dire économie, prix à payer et qui fait passer l’être (de profit) au ne pas être (à perte) –l’autre de l’être[31]. Si nous acceptons de choisir comme plan d’immanence l’expérience des camps de concentration, la transcendance se temporalise de manière singulière en relation avec un passé «qui ne ramène pas ce passé à l’immanence où il se signale et qui le laisse passé ne revenant pas en guise de présent –ni de représentation– qui le laisse passé sans référence à un quelconque présent qu’il aura ‘modifié’, passé, qui, par conséquent, ne peut avoir été origine, passé pré-originel, passé anarchique»[32].

La notion d’Infini dérange. Elle plonge l’autre philosophe dans un «drame métaphysique» –drame humain– qui n’a plus rien de grec, si ce n’est celui des «modernes» qui tentent de se réfugier dans le monde des Idées. Indiscrétion philosophique, elle «s’énonce dans un dire qui doit aussi se dédire pour arracher ainsi l’autrement qu’être au dit où l’autrement qu’être se met déjà à ne signifier qu’un être autrement»[33]. Rapportée au champ éthique, ladite indiscrétion est mauvaise conscience[34].

Nul n’est mauvais involontairement. C’est pourquoi, le sujet humain ne saurait se dédouaner aussi facilement de la mort des autres, de leur maintien dans la misère, du refus de la prise en charge d’autrui. Subjectivité (l’un-pour-l’autre), substitution (l’un-à-la-place-de-l’autre), sujétion (sensibilité) et exposition (expiation) constituent dès lors la chaîne signifiante d’un «Dire essoufflé ou retenant son souffle» : «responsabilité pour Autrui», responsabilité au-delà de la forme de l’être –«dépouillement au-delà de la nudité», «découvert de la souffrance»[35].

a) la résistance à l’idée de l’Autre

Pour Emmanuel Lévinas, la notion de transcendance surgit d’une humanité souffrante et évoque d’entrée de jeu l’athéisme, c’est-à-dire la condition d’un être séparé. Il ne s’agit ni de venir au secours du divin ni de le nier. Se rapporter à l’absolu en athée c’est s’offrir au dialogue avec l’Autre et non pas le réduire à l’objet d’un discours[36]. Ce faisant, Lévinas ne cherche pas à présenter des preuves de l’existence de Dieu[37]. Il indique comment se produit l’emphase de l’infini dans le fini. Ce n’est pas Dieu qui est recherché dans le prochain, c’est l’Autre qui obsède la conscience dans la proximité du prochain et qui lui signifie sa subordination à autrui.

L’approche d’autrui est relation avec l’Infini, «responsabilité d’un mortel pour un mortel»[38]. Pour le sujet, Autrui est toujours vie-donnée-pour-la-mort. Maintenir une relation de vie avec autrui, c’est refuser d’aborder l’absolument autre comme un cadavre. Cette relation s’établit sur les bases d’une «résistance très grande, mais avec l’absolument Autre –avec la résistance de ce qui n’a pas de résistance– avec la résistance éthique»[39]. La résistance est corps qui ne peut contenir celui qu’elle «a dans la peau». Elle est conscience qu’à tout instant elle doit penser plus qu’elle ne pense. La résistance est présence de l’infini.

L’idée de l’infini implique une âme capable de contenir plus qu’elle ne peut tirer de soi. Elle dessine un être intérieur, capable de relation avec l’extérieur et qui ne prend pas son intériorité pour la totalité de l’être [...]. Mais dès lors on comprend que l’idée de l’infini qui exige la séparation, l’exige jusqu’à l’athéisme, assez profondément pour que l’idée de l’infini puisse s’oublier. L’oubli de la transcendance ne se produit pas comme un accident dans un être séparé, la possibilité de cet oubli est nécessaire à la séparation[40].


b) souffrir pour l'Autre

L’accès à la transcendance correspond à un renversement de l’ontologie où la lueur d’un au-delà de l’être ne vient plus du ciel étoilé mais du visage de l’autre homme. Dans la souffrance le sujet ne pâtit pas sous les coups de l’autre, mais pour les coups de l’autre. L’humanité atteinte par la question de la souffrance s’enferme dans une lecture à rebours de la transcendance qui serait danse-en-transe, anarchie[41]! Par la proximité avec la souffrance[42], le sujet subit une récurrence anarchique à soi. L’autre n’est plus contesté, il est supporté dans la passivité : substitution. Le Même faille en présence d’autrui, proche il ne peut plus s’éloigner. Il partage la condition d’otage[43]. La victime n’a plus peur de son bourreau mais pour son bourreau. Que me veut l’Autre ? «La question de l’Autre retourne en responsabilité pour autrui, et la crainte de Dieu –aussi étrangère à l’effroi devant le sacré qu’à l’angoisse devant le néant– en crainte pour le prochain et pour sa mort»[44]. La transcendance est Sinngebung. Elle ne désigne pas «quelque chose». Elle désigne la proximité du prochain et insiste sur un autrement qu’être : se trouver responsable.

Que signifie cette souffrance des innocents ? Ne témoigne-t-elle pas d’un monde sans Dieu, d’une terre où l’homme seul mesure le Bien et le Mal ? La réaction la plus simple, la plus commune consisterait à conclure à l’athéisme. Réaction la plus saine pour tous ceux à qui jusqu’alors un dieu, un peu primaire, distribuait des prix, infligeait des sanctions ou pardonnait des fautes et, dans sa bonté, traitait les hommes en éternels enfants. Mais de quel démon borné, de quel magicien étrange avez-vous donc peuplé votre ciel, vous qui, aujourd’hui, le déclarez désert ? Et pourquoi, sous un ciel vide cherchez-vous encore un monde sensé et bon ?[45].


4.3. Dans la trace de l’illéité

Dans la philosophie de Lévinas, une «troisième voie» relie le visage de l’autre homme à l’Absent[46]. L’auteur constate que la négation de Dieu par Nietzsche a été confirmée par le XXe siècle. Survivant au génocide de la Seconde Guerre, il reconnaît ne pas «croire à l’existence de Dieu dans le sens traditionnel et théologique du terme»[47]. Chez lui, le mot Dieu ne vient pas à l’idée à partir de concepts «déjà pensés» mais sur la base d’une remise en cause des préjugés en matière de croyance et de raison. Tout au long de son œuvre, Emmanuel Lévinas place le lecteur dans la trace de tous ceux qui acceptent que la vérité et la justice ont pour référence l’au-delà de leur propre finitude.

Etre dans la trace de l’Infini c’est se refuser de «saisir» la vérité d’Autrui. La trace est l'illéité d’Autrui : lieu où «l’infini se passe»[48]. La notion de la trace permet une compréhension de l’«apparaître» et du «se dissimuler»[49], tout en maintenant l’intrigue de la responsabilité[50]. Elle désigne le respect de ce qui est Autre et le respect d’autrui. C’est dans la trace que luit le visage de l’autre et que se révèle son «épiphanie». Autrui c’est autrui, parce qu’on ne connaît de Dieu que l’autre. C’est pourquoi le visage d’autrui est visitation et transcendance.

Le Dieu qui a passé n’est pas le modèle dont le visage serait l’image. Etre à l’image de Dieu, ne signifie pas être l’icône de Dieu, mais se trouver dans sa trace. Le Dieu révélé de notre spiritualité judéo-chrétienne conserve tout l’infini de son absence qui est l’ordre personnel même. Il ne se montre que par sa trace, comme dans le chapitre 33 de l’Exode. Aller vers Lui, ce n’est pas suivre cette trace qui n’est pas un signe, c’est aller vers les Autres qui se tiennent dans la trace[51].


a) l'idée de l’Autre : la voie de l’absolument Absent

Quel être humain est en mesure d’utiliser adéquatement les mots pour dire Dieu ? Le signifié ne renvoie-t-il pas à une chaîne signifiante où celui qui «parle» ou «vient à l’idée» se présente toujours sous un faux nom, puisque personne peut affirmer avec certitude que c’est bien Dieu qui a parlé. De la même manière que l’humain n’a jamais pu «mettre la main» sur Dieu, ainsi la raison n’a jamais pu contenir l’idée de l’Infini[52]. Dépassant les «sottises» idéologiques de ceux qui prétendent évincer l’idée de Dieu pour n’avoir pas rencontré ce dernier dans l’apesanteur, Lévinas présente l’irruption de la transcendance dans l’immanence «sous les espèces d’une approche du prochain»[53]. Désormais, non seulement l’un-pour-l’autre est la rupture éthique de l’essence, mais encore le jugement dernier. Les deux se donnent dans l’ici et maintenant du mouvement où l’un se met à la place de l’autre. «Et que peut signifier la mise en mouvement pour se mettre à la place de l’autre, sinon littéralement l’approche du prochain ?»[54]. Dans cette approche, autrui concerne le Même sans que Autrui, l’absolument autre, soit tenu à une réponse : «Ma responsabilité pour l’autre homme» allant «jusqu’à la responsabilité pour sa responsabilité»[55].

Le monde contemporain, scientifique, technique et jouisseur, se voit sans issue –c’est-à-dire sans Dieu– non pas parce que tout est permis et, par la technique, possible, mais parce que tout y est égal. L’inconnu aussitôt se fait familier et le nouveau coutumier. Rien n’est nouveau sous le soleil. [...] Vanité des vanités : l’écho de nos propres voix, pris pour réponse au peu de prières qui nous reste encore ; partout retombée sur nos propres pieds, comme après les extases d’une drogue. Sauf autrui que, dans tout cet ennui, on ne peut pas laisser tomber[56].


b) l’idée du Tout-Autre : la voie du Très-Bas

Pour bien comprendre l’idée de Dieu dans la pensée d’Emmanuel Lévinas, il convient de lire non seulement les textes philosophiques, mais également ceux plus confessionnels où l’auteur évoque en tant que philosophe et juif la croyance au Dieu unique. Lors d’un exposé fait en 1957 à l’Abbaye de Tioumliline au Maroc –Une religion d’adultes[57]–, l’auteur expose de façon exceptionnelle l’autonomie humaine face au Transcendant. Son argumentation repose sur l’expérience des juifs d’Europe pendant les années 1933-1945 et s’universalise dans «la voie difficile du monothéisme»[58].

L’existence humaine est «le vrai lieu où la parole divine rencontre l’intellect». Courir le risque du Transcendant, c’est accepter de s’arracher au «numineux du sacré» sans pour autant se soustraire au «risque de l’athéisme». S’inscrire dans la tradition monothéiste c’est se reconnaître «spirituellement sémite», c’est-à-dire humainement élu «au-dessus de l’ordre naturel des choses»[59]. Dieu pour Lévinas ne saurait être «le survivant de dieux mythiques». Nul doute que Lévinas est grandement influencé par sa propre tradition spirituelle, mais également par son insertion en France. Sa maturité dans la foi le rend capable de chercher l’humain dans le visage de ses bourreaux et d’entendre la parole de Dieu dans le cri lointain des victimes[60]. Bien plus, la laïcité est pour lui une façon de vivre l’amour du prochain, même si cette dernière est «une tenue beaucoup plus difficile à observer que l’intolérance et le dogmatisme»[61].

Ne devrait-on pas appeler parole de Dieu, cette demande ou cette interpellation ou cette assignation à responsabilité [...] ? L’orientation de la conscience sur l’être dans sa persévérance ontologique ou dans son être-à-la-mort, où la conscience est sûre d’aller à l’ultime –tout cela est interrompu dans le visage de l’autre homme. C’est peut-être cet au-delà de l’être de la mort que signifie le mot gloire auquel j’ai eu recours en parlant du visage [...]. Dans la déposition par le moi de sa souveraineté de moi, sous sa modalité de moi haïssable, signifie l’éthique mais aussi probablement la spiritualité même de l’âme, et certainement la question du sens de l’être, c’est-à-dire son appel à la justification[62].


c) idée de l'Autre et espérance messianique

A quoi peut bien servir le fait de croire en Dieu ? Aussi utilitaire que la question puisse paraître, force nous est de reconnaître que l’idée de Dieu dans le monothéisme «sert» davantage l’homme que Dieu. Derrière les rêves de la venue d’un Messie, se cache le désir d’une paix et d’une justice politique et sociale. L’époque messianique c’est la fin de l’arbitraire, la fin des violences et le triomphe des justes. Lévinas prend distance avec la façon populaire d’attendre l’ère messianique. Il s’inscrit dans une tradition où «la vie spirituelle, comme telle, reste inséparable de la solidarité économique avec autrui»[63]. Autrui est toujours le pauvre et jamais on ne s’approche de lui «les mains vides».

En s’ouvrant dès lors à l’idée de l’Infini à travers le visage de tout premier venu, le sujet responsable ne peut qu’être provoqué à une transformation politique et sociale de la réalité. Cette transformation est d’abord intérieure et exige une approche affective de l’autre homme qui jusque-là était «lointain». Approcher autrui c’est s’approcher de lui les mains pleines pour le nourrir et l’accueillir dans sa propre maison, afin de lui restituer son lieu par soi usurpé. Ce souci de rétablir autrui dans sa dignité introduit au cœur de la vie spirituelle un langage humain qui dépasse toute ambiguïté de la parole et toute compréhension préétablie d’autrui.

L’idée que l’homme reçoit de Dieu –du Messie– dans la souffrance libère-t-elle une dignité nouvelle en l’humain ? L’homme n’aliène-t-il pas sa liberté dans l’idée que «la source du salut doit nécessairement être intérieure à l’homme» ? Dans sa responsabilité subjective[64], le sujet est en société fraternelle avec autrui non tant par les liens du sang, que par le geste d’arracher de sa propre bouche (jouissance) le pain qui nourrira l’affamé. Son refus de s’ouvrir à autrui trahit une carence d’extériorité, une «insuffisance de culture», une «idolâtrie».

Dès lors, la venue du Messie consiste en l’extériorité d’un enseignement : parole divine qui a son origine dans l’homme. Le Messie c’est la promesse faite à l’humain que l’ouverture à l’Infini est possible à tout moment. Envisagé dans sa relation aux hommes, il est l’homme qui souffre et qui juge l’histoire sans arrêter le cours de cette dernière. En lui, chaque événement historique se transcende. Le messianisme décrit un ordre universel, «le commencement de la philosophie».

Il faut une œuvre de justice –la droiture du face à face– pour que se produise la trouée qui mène à Dieu –et la «vision» coïncide ici avec cette œuvre de justice. Dès lors, la métaphysique se joue là où se joue la relation sociale –dans nos rapports avec les hommes. Il ne peut y avoir, séparée de la relation avec les hommes, aucune «connaissance» de Dieu. Autrui est le lieu même de la vérité métaphysique et indispensable à mon rapport avec Dieu. Autrui n’est pas l’incarnation de Dieu, mais précisément par son visage, où il est désincarné, la manifestation de la hauteur où Dieu se révèle[65].







Note:
[1] «Socialité avec la transcendance ! Je pense, en effet, que la relation à Dieu –la foi– ne signifie pas originellement l’adhésion à quelques énoncés constituant un savoir auquel manquerait la démonstration, et qui, de temps à autre, s’exposerait à l’inquiétude d’une certitude sans preuves. Pour moi, la religion veut dire transcendance qui, en tant que proximité de l’absolument autre –c’est-à-dire de l’Unique dans son genre– n’est pas coïncidence manquée, et qui n’aurait pas abouti à quelque fin sublime projetée, ni une non-compréhension de ce qui aurait dû être saisi et appréhendé comme objet, comme ‘ma chose’ ; la religion c’est l’excellence propre de la socialité avec l’Absolu, ou, si vous voulez, au sens positif de cette expression : la Paix avec l’autre» : F. Armengaud, Entretien avec Emmanuel Lévinas : Revue de Métaphysique et de Morale 90 (1985) 299.

[2] EDE 174.

[3] DL 36.

[4] AT 28-29.

[5] Cf. AT 43-44.

[6] AT 49.

[7] Lévinas a-t-il raison de faire usage des expressions «parole de Dieu», «gloire», «spiritualité» pour désigner sa démarche philosophique ? Pourquoi l’athéisme (antithéisme) qu’il propose et qui découvre une hauteur à l’humanisme est-il si facilement rejeté par «tout un courant de la philosophie moderne» –dont on peut se demander si elle ne s’approche pas de l’idée de l’infini «même quand elle se formule d’une façon sciemment et rigoureusement athée» (AT 88-89) ?

[8] Dans son article Decir a-Dios. Una lectura ética de las categorías de inmanencia y trascendencia, Graciano González Rodríguez Arnaiz présente la pensée d’Emmanuel Lévinas à partir de trois ruptures : la rupture phénoménologique, la rupture ontologique et la rupture du «lieu» de la transcendance. Commentant l’expression du Dieu qui vient à l’idée, l’auteur insiste sur le fait que «dire Dieu» (decir a Dios) –hors des catégories de l’Etre– c’est accepter de sortir des «lieux» traditionnels de la transcendance et dire autant adieu (adiós) à un discours sur Dieu qu’à une théosophie. Cf. G. R. González Arnaiz (co.), Etica y subjetividad. Lecturas de Emmanuel Lévinas, Madrid 1994, 245-271.

[9] AE 38-39.

[10] «Dans l’accueil d’Autrui, j’accueille le Très-Haut auquel ma liberté se subordonne, mais cette subordination n’est pas une absence : elle s’évertue dans toute l’œuvre personnelle de mon initiative morale (sans laquelle la vérité du jugement ne peut se produire), dans l’attention à Autrui en tant qu’unicité et visage (que le visible du politique laisse invisible) et qui ne peut se produire que dans l’unicité d’un moi» : TI 335.

[11] Comment dire la transcendance ? Ne vaut-il pas mieux se taire plutôt que de retomber dans «la factice transcendance des arrière-mondes de la Cité Céleste» (AE 14) ? Le discours sur Dieu n’exprime-t-il pas un essoufflement, dernier soubresaut avant la mort ? Est-il possible de concevoir un dire qui ne soit pas passage en «arrière-monde» ou épargne avec intérêts compensatoires dans une vie éternelle ? Combien même le dire semble se dé-dire dans le dit, il importe davantage à Lévinas «de penser la possibilité d’un arrachement à l’essence» que de révéler un «plan ontologique» (AE 21). «Tuer comme mourir, c’est chercher une sortie de l’être, aller là où la liberté et la négation opèrent» : EE 100.

[12] La pensée philosophique de Lévinas conduit à des interprétations très diverses. Certaines sont dues à des lectures rapides, voire malhonnêtes. D’autres naissent suite au non-dit supporté par chaque écrit de l’auteur. C’est ainsi que Lévinas se voit soupçonné de «prêche philosophique», voire même de faciliter un matérialisme métaphysique. Cf. A. Bouganim, La rime et le rite. Essai sur le prêche philosophique, Paris 1996.

[13] «Ce qui fut unique entre 1940 et 1945, ce fut le délaissement. Toujours on meurt seul et partout les malheurs sont désespérés. Et entre les seuls et les désespérés, les victimes de l’injustice sont partout et toujours les plus seules [...]. Il y a plus d’un quart de siècle, notre vie s’interrompit et sans doute l’histoire elle-même. Aucune mesure ne venait plus contenir les choses démesurées. Quand on a cette tumeur dans la mémoire, vingt ans ne peuvent rien y changer. Sans doute la mort va annuler l’injustifié privilège d’avoir survécu à six millions de morts» : NP 141-142.

[14] Cf. R. Redeker, Roger Garaudy est-il un philosophe ? : Le Monde du 13 mars 1998, 12.

[15] La foi monothéiste avait déjà préparé Lévinas à ne pas se rapporter à l’absolu en termes de négation ou d’affirmation (cf. TI 52 et 75). Au moment de la chute des institutions et du silence des Eglises, celle-ci l’aidera à accueillir l’absolu en rupture avec toute violence et tout sacré, c’est-à-dire en athée. Son athéisme est une position métaphysique, un comportement éthique qui restitue à la vie intérieure un nouveau privilège (cf. EI 37-43). La souffrance inutile ne «supporte» pas la théodicée pour mieux pardonner aux bourreaux. La souffrance est, dans l’Histoire Sainte de l’humanité, le lieu où un Dieu adulte «s’est vidé» –par le vide du ciel enfantin– pour devenir l’interlocuteur de l’homme (cf. DL 188 et 190-191 ; EN 109-110).

[16] «J’avais seulement un peu plus de vingt ans quand je fus plongé dans l’univers des camps de concentration nazis. Une vraie descente aux enfers, au milieu de dizaine de milliers d’êtres humains parqués, battus, massacrés comme du bétail. Toute la cruauté de l’homme, mais aussi sa détresse, son abandon, son écrasement me saisissaient soudain et me submergeaient comme une énorme vague de nuit. Dans ce tête-à-tête avec l’horreur, j’ai éprouvé jusqu’à l’angoisse le silence de Dieu, l’absence de Dieu. On pouvait lever les yeux au ciel. Le ciel ne répondait pas ; il semblait ne pas prêter attention à ce qui se passait. Les cris ne l’atteignaient pas. Je compris qu’on pouvait être athée, oui, athée par égard pour Dieu. Pour l’honneur de Dieu. Afin de ne pas le rendre complice, par son silence, des crimes qui se perpétraient. Dès lors de graves interrogations ne cessèrent de me harceler et de me hanter. Car, j’en pris vite conscience, ce que j’avais découvert dans les camps de la mort était vécu aussi ailleurs : partout où l’homme est opprimé, écrasé. Partout où il meurt seul, abandonné» : E. Leclerc, Le Royaume caché, Paris 1987, 7.

[17] E. Lévinas, La signification et le sens : Revue de Métaphysique et de Morale 69 (1964) 142 ; HH 46-47.

[18] DI 89.

[19] «Dès lors, l’humanité déficiente –criminelle, immorale, malade, arrêtée ou retardée dans son développement– devrait, incarcérée, internée, colonisée, éduquée, être séparée de la vraie humanité bonne, saine et mûre» : DI 80.

[20] Après Auschwitz, Dieu est plus que jamais absent du ciel vers lequel se sont élevées les fumées des fours crématoires de la «solution finale». Paradoxalement, il est plus que jamais présent dans la mère qui rassure son enfant en le tenant contre son sein, alors que déjà le gaz létal envahit le local des douches. Renoncer à Dieu après Auschwitz, c’est donner raison aux bourreaux. La souffrance extrême interdit toute apostasie. Elle rappelle l’humain à son identité et l’ouvre à la transcendance. Cf. J. Jonas, Le concept de Dieu après Auschwitz. Une voix juive, Paris 1994.

[21] E. Lévinas, Tout est-il vanité ? : J. Rolland (co.), Emmanuel Lévinas, Paris 1984, 319. Dans ce texte rédigé au sortir de la guerre (1946), Lévinas s’interroge sur le fait de survivre à l’expérience de l’hitlérisme tout en ayant à connaître le bonheur de retrouver des éléments de la vie d’avant-guerre dans leur familiarité ancienne. Pour le survivant Lévinas, l’apocalypse du national-socialisme n’ouvre pas à un ciel nouveau ou à une terre inconnue, mais à un retour au quotidien où les «morts sans tombes se logent dans les colonnes des statistiques» et où le religieux ne parvient pas davantage à s’arracher au cours implacable de l’histoire. Laisser Dieu venir à l’idée de manière nouvelle après l’extermination raciale du Deuxième Reich, c’est sortir de l’enfance et s’arracher à l’immanence. «J’appelle puberté pour les hommes de notre temps le fait d’avoir connu l’hitlérisme et l’Holocauste.» : S. Malka, Lire Lévinas, Paris 1989, 105.

[22] DI 28.

[23] «Ici, l’Autre, au lieu d’aliéner l’unicité du Même qu’il inquiète et tient, l’appelle seulement du plus profond de lui-même au plus profond de lui-même, là où rien ni personne ne peut le remplacer» : DI 48.

[24] DI 60.

[25] EDE 173.

[26] Cf. F. Armengaud, Entretien avec Emmanuel Lévinas : Revue de Métaphysique et de Morale 90 (1985) 306.

[27] Cf. AE 5 et 9-11, dédicace et note préliminaire à Autrement qu’être ou au-delà de l’essence.

[28] «La question de la divinité du Dieu-Un, peut-elle se poser comme se pose la question de l’humanité de l’homme ? L’Un a-t-il un genre ? La divinité de Dieu, peut-elle être pensée à part Dieu, comme l’être se pense à part l’étant ? Tout le problème consiste précisément à se demander si Dieu se pense comme l’être ou comme au-delà. Même si par la ruse du langage la divinité s’énonce, il faudra aussitôt ajouter à l’être que désigne la divinité l’adverbe suprêmement. Or, la suprématie du suprême n’est pensée dans l’être qu’à partir de Dieu. Selon le mot, encore insuffisamment médité de Malbranche : ‘L’Infini est à lui-même son idée’» : AE 155, note 1. Voir également J. Greisch, Bulletin de Philosophie. Comment le Dieu unique vient-il dans la philosophie : Revue des Sciences Philosophiques et Théologiques 67 (1983) 136-139.

[29] Cf. E. Lévinas, La ética : J. Casado et P. Agudíez, El sujeto europeo, Madrid 1990, 12-13.

[30] AE 16.

[31] Cf. AE 20.

[32] AE 23-24.

[33] AE 19.

[34] Cf. AT 41-44.

[35] AE 30-31.

[36] «Pour les philosophes, l’athéisme n’est pas un problème, la mort de Dieu non plus, les problèmes ne commencent qu’ensuite, quand on a atteint à l’athéisme du concept. On s’étonne que tant de philosophes encore prennent au tragique la mort de Dieu. L’athéisme n’est pas un drame, mais la sérénité du philosophe et l’acquis de la philosophie. Il y a toujours un athéisme à extraire d’une religion» : G. Deleuze et F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Paris 1991, 89.

[37] Cf. E. Lévinas, La proximité : Archives de Philosophie 34 (1971) 388.

[38] MT 135.

[39] E. Lévinas, La philosophie et l’idée de l’infini : Revue de Métaphysique et de Morale 62 (1957) 248 ; EDE 173.

[40] TI 196-197.

[41] «La trace d’un passé dans le visage n’est pas l’absence d’un encore non-révélé, mais l’anarchie de ce qui n’a jamais été présent, d’un infini qui commande dans le visage de l’Autre et qui –comme tiers exclu– ne saurait être visé» : E. Lévinas, La proximité : Archives de Philosophie 34 (1971) 391.

[42] La souffrance ne correspond pas au moment de la mort. Elle est son ajournement. Dans la souffrance, l’humain ploie par excès de mal. Ce mal «vise» un sujet et constate une carence. Il ne s’accommode pas avec le fini du corps et semble sans cesse en appeler à sa défaillance, à son effondrement. Rupture de l’immanence, le mal demeure sans fondement et sans repos possible. Dans son horreur, il est élévation et atteint le sujet hors et dans son être.

[43] Cf. E. Lévinas, La substitution : Revue Philosophique de Louvain 66 (1968) 487-508.

[44] DI 187.

[45] DL 190.

[46] Cf. EDE 198.

[47] A. Münster, La différence comme non-indifférence. Ethique et altérité chez Emmanuel Lévinas, Paris 1995, 132.

[48] «Au sens de l’intrigue à trois, le visage reçoit son investiture de l’Infini qui, pour sa part, ne se laisse pas rassembler en totalité, mais ne s’inscrit dans le présent que comme trace fuyante, s’effaçant et réapparaissant pour s’effacer encore, scintillement ambigu qui s’offre en énigme à la subjectivité. Dans son épiphanie, le visage témoigne silencieusement d’une troisième personne, d’un IL qui échappe à la distinction de l’être et de l’étant, comme à celle de l’être et du non-être, tiers exclu d’une tertialité autre que celle du troisième homme : un IL que Lévinas nomme illéité» : S. Plourde, Emmanuel Lévinas, altérité et responsabilité. Guide de lecture, Paris 1996, 126.

[49] «Le profil que, par la trace, prend le passé irréversible, c’est le profil du ‘Il’. L’au delà dont vient le visage est la troisième personne. Le pronom Il, en exprime exactement l’inexprimable irréversibilité, c’est-à-dire déjà échappée à toute révélation comme à toute dissimulation –et dans ce sens– absolument inenglobable ou absolu, transcendance dans un passé ab-solu. L’illéité de la troisième personne est la condition de l’irréversibilité» : EDE 199 ; voir également HH 65.

[50] Cf. E. Feron, De l’idée de transcendance à la question du langage. L’itinéraire philosophique d’Emmanuel Lévinas, Grenoble 1992, 236-247.

[51] EDE 202.

[52] «La pensée contemporaine se meut ainsi dans un être sans traces humaines où la subjectivité a perdu sa place au milieu d’un paysage spirituel qu’on peut comparer à celui qui s’offrit aux astronautes qui, les premiers, mirent pied sur la lune où la terre elle-même se montra astre déshumanisé» : DI 23.

[53] DI 28.

[54] DI 30.

[55] DI 32.

[56] DI 31.

[57] DL 25-41.

[58] «Le monothéisme marque une rupture avec une certaine conception du sacré. Il n’unifie ni ne hiérarchise ces dieux numineux et nombreux ; il les nie. A l’égard du divin qu’ils incarnent, il n’est qu’athéisme». Dès lors, croire c’est être «extrêmement proche de l’Occident, je veux dire de la philosophie» : DL 31.

[59] «Chacun, comme ‘je’, est à part de tous les autres à qui le devoir moral est dû. L’intuition fondamentale de la moralité consiste peut-être à s’apercevoir que je ne suis pas l’égal d’autrui ; et cela dans le sens très strict que voici : je me vois obligé à l’égard d’autrui et par conséquent je suis infiniment plus exigeant à l’égard de moi-même qu’à l’égard des autres. ‘Plus je suis juste, et plus je suis sévèrement jugé’, dit un texte talmudique. Dès lors, il n’existe pas de conscience morale, qui ne soit pas une conscience de l’élection» : DL 39.

[60] Cf. DL 26.

[61] J.-C. Eslin, J.-L. Schlegel, O. Remaud, Lire la Bible sans images. Entretien avec Emmanuel Lévinas : Esprit n. 162 (1990) 123.

[62] AT 47-49.

[63] Les citations suivantes sont extraites des Textes messianiques : DL 83-109.

[64] Cf. V. L. Jayme, Emmanuel Lévinas’ Philosophy of Responsible Subjectivity : Philippiniana Sacra 26 (1991) 227-262.

[65] TI 77.