Espacethique : Emmanuel Levinas

http://espacethique.free.fr/

Kovno (Lévinas de A à Z)

elevlogo.gif

" Kovno est aussi une ville où se côtoient et s'entrecroisent alors tous les courants de la vie juive moderne. On y retrouve à l'oeuvre les tentations de l'assimilation et les nostalgies de la tradition, la passion de l'étude, l'essor du yiddischisme et la reconnaissance de l'hébreu, l'aversion pour les injustices de l'Etat tsariste et l'attrait pour la culture russe. Tout cela se mêle à l'intérieur d'une société juive traversée par des sensibilités diverses et souvent opposées. [...]
En ce tournant du siècle où la langue, la religion, la question nationale se trouvent au centre des débats, où les velléités d'émancipation se font jour, où une effervescence culturelle agite les esprits, Kovno comme le reste de la Lituanie, brasse tous ces courants dont on retrouve les reflets dans le réseau scolaire qui va du religieux au laïc en passant par le sioniste et le yiddischiste."
Salmon Malka, Emmanuel Lévinas; La vie et la trace, p. 29-31

 

L’ironie de l’histoire veut que, lorsque Emmanuel Lévinas vient au monde –un 30 décembre 1905–, celui-ci soit aussitôt arraché au concept du calendrier (julien, en vigueur alors dans l'empire russe) pour compter dans les mémoires à partir du 12 janvier 1906 (calendrier grégorien).

A l’époque, la Lituanie appartenait à l’empire tsariste et Kovno, ville natale de l’auteur, offrait à la famille Lévinas les avantages d’une ville de province où le développement spirituel et intellectuel était de mise[1].

En famille, chez les Lévinas, le judaïsme appartenait au quotidien et la curiosité intellectuelle prenait le pas sur l’enthousiasme mystique. Emmanuel étudie la Bible[2]. Son père lui permet, dès l’âge de six ans, d’apprendre l’hébreu biblique comme une langue moderne.

Suite aux difficultés liées à la Première Guerre mondiale, Emmanuel Lévinas connaît –aux côtés de ses parents et de ses deux frères– l’émigration en Ukraine (1915). A onze ans, il entre au lycée de Kharkov. Cette admission est célébrée en famille comme la réception au doctorat[3].

Au terme de cinq années d’exil, la famille se rétablit dans son pays d’origine (1920). A dix-sept ans, le jeune Lévinas est titulaire de la «maturité», diplôme qui lui ouvre les portes des universités étrangères.

 



[1] Dès son enfance, il apprend, selon sa propre expression, «à lire le russe sur l’étiquette du cacao». Il bénéficie de la librairie parentale et accède à la littérature russe à travers les œuvres de Tolstoï, Dostoïevski et Pouchkine : «livres traversés par l’inquiétude, par l’essentiel, l’inquiétude religieuse, mais lisible comme quête du sens de la vie» (ELP 70).

[2] Après guerre, Emmanuel Lévinas sympathisera avec un médecin gynécologue, Henri Nerson. Il lui dédie son livre Difficile Liberté. Le docteur Nerson lui fait connaître Monsieur Chouchani. Avec eux, il étudie le Talmud et apprend de M. Chouchani à regarder vers de nouveaux horizons. La rencontre de cet homme lui procure une «confiance dans les livres» et une nouvelle sensibilité à la signification pour l’humain «tout court». Cf. ELP 152-160. Sur le sens de l’humain dans la pensée d’Emmanuel Lévinas à partir de la rencontre avec le Livre et la sagesse rabbinique, voir : C. Chalier, Lévinas. L’utopie de l’humain, Paris 1993 ; S. Malka, Monsieur Chouchani. L’énigme d’un maître du XXe siècle. Entretiens avec Elie Wiesel suivis d’une enquête, Paris 1996.

[3] Une limitation discriminatoire empêchait les enfants de familles juives d’accéder en nombre dans les écoles russes. Cf. ELL 36 et notes correspondantes.