Espacethique : Emmanuel Levinas

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Proximité (Lévinas de A à Z)

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La connaissance d'autrui passe par la responsabilité pour le proche et le lointain.

Dire : me voici. Faire quelque chose pour un autre. Donner. Etre esprit humain, c’est cela [...]. Le visage me demande et m’ordonne. Sa signification est un ordre signifié. Je précise que si le visaage signifie un ordre à mon égard, ce n’est pas de la manière dont un signe quelconque signifie son signifié ; cet ordre est la signifiance même du visage.

La pensée d’Emmanuel Lévinas se fraie un passage entre une proximité affective souhaitée et une promiscuité supportée par des écorchés vifs de la vie. Pendant son temps de captivité, Lévinas a-t-il vécu l’humiliation corporelle des camps de concentration ? Chez lui, la proximité du prochain est une «obsession»[1]. Cette obsession est l’étape brûlante d’une conscience qui s’affirme dans une approche par excès d’autrui. Non pas que l’Autre ait tous les droits sur le Même, mais le Même est l’otage d’Autrui.

Vulnérable et sans défense, le Même est investi et traqué par l’Autre. Sa grandeur consiste à faire face à l’Autre dans un «Me voici» et à le servir avec dés-intér-essement : «autrement qu’être»[2]. Répondre «me voici» c’est ne-pas-laisser-seul-l’autre-homme[3]. Dans l’approche affective et effective d’autrui, la proximité désigne moins une distance physique qu’un ratage méta-physique, une trace non-thématisable, an-archique, extra-ordinaire[4].

Chez Lévinas, la phénoménologie du corps dépasse l’image plastique où se produit la tentation ou la négation de l’autre. Le corps est visage. Il marque la fin de l’absurde bruissement de l’il y a. Rapport à la socialité, il est l’être-pour. Parole adressée à la conscience, il rend possible et impossible le meurtre. Mis à nu, il met l’être en présence de sa condition et investit la liberté dans la proximité du pauvre. La proximité est inquiétude philosophique, complicité fraternelle «pour rien». Elle est premier dire d’un délire originel : Dieu. La proximité est caresse parce qu’elle touche «tout» et ne retient «rien»[5]. Elle est peau –trace d’elle-même–, écart entre le visible et l’invisible[6], recherche de celui qui est proche comme s’il n’était pas là.



[1] «Le prochain, premier venu, me concerne pour la première fois (fût-il vieille connaissance, vieil ami, vieil amour, impliqué depuis longtemps dans le tissu de mes relations sociales), dans une contingence excluant l’a priori» : AE 137-138.

[2]EI 92-98.

[3] Cf. EN 140.

[4] «C’est parce que dans la proximité s’inscrit la trace de l’Infini –trace démesurée pour le présent, et qui invertit l’arché du présent en anarchie– qu’il y a délaissement, obsession, responsabilité et Soi» : E. Lévinas, La substitution : Revue Philosophique de Louvain 66 (1968) 501.

[5] «Elle [la proximité] est contact d’Autrui. Etre en contact : ni investir autrui pour annuler son altérité, ni me supprimer dans l’autre. Dans le contact même, le touchant et le touché se séparent, comme si le touché s’éloignant, toujours déjà autre, n’avait avec moi rien de commun» : E. Lévinas, La proximité : Archives de Philosophie 34 (1971) 377.

[6] «Visage approché, contact d’une peau : visage s’alourdissant de peau et peau où, jusque dans l’obscénité, respire le visage altéré –ils sont déjà absents d’eux-mêmes, chus de laps irrécupérable dans le passé. La peau caressée n’est pas la protection d’un organisme, simple surface de l’étant ; elle est l’écart entre le visible et l’invisible, quasi transparent, plus mince que celui qui justifierait encore une expression de l’invisible par le visible. Cette minceur n’est pas un infinitésimal de la quantité, de l’épaisseur. Minceur déjà réduite à l’alternance de sens ; Ambiguïté du phénomène et de sa défection ; pauvreté exposée dans l’informe et retirée de cette exposition absolue dans la honte pour sa pauvreté» : AE 143.