Espacethique : Emmanuel Levinas

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Le proche et le lointain (Thèmes)

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Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’humanité se trouve devant le terrible défi de réaliser de manière nouvelle l’unité entre les hommes sur la base d’une pluralité. A la fin de son ouvrage Totalité et Infini (1961), Emmanuel Lévinas considère l’idée de paix comme la valeur constitutive de la structure d’un Etat attaché à une telle œuvre. La paix éthique –paix de la proximité– est la condition première d’un être qui va vers l’autre, dans son unicité et son irréductibilité. Assumée par l’Etat, cette valeur ne saurait être le seul fruit de la trêve des armes, d’un couvre-feu, voire des honneurs rendus aux combattants. La paix ne se laisse pas «saisir» par les jardins du souvenir ou les empires universels. Elle n’est ni bonne conscience ni repos du guerrier. La paix est déracinement . Socialité première, sa rigueur est dans une justice «qui me juge et non pas dans l’amour qui m’excuse» .

Treize ans plus tard (1974), l’ouvrage Autrement qu’être ou au-delà de l’essence précise les contours de la médiation politique entre les sujets et les institutions. La responsabilité pour autrui s’y décrit comme la mise en œuvre patiente de l’ouverture du Même au temps et à l’espace de l’Autre. Sans se laisser réduire au lieu où il s’expose, autrui se dit dans l’échange économique (commerce et compensation) et se découvre au cœur de concessions de proximité (sensibilité et substitution). Le prochain est frère en dehors de toute relation de parenté biologique. La fraternité est une impossibilité de s’éloigner d’autrui sans perdre le sommeil ou sans sombrer dans la folie. Frémissement d’une humanité toute autre, la fraternité passe au lieu du Même sans se laisser par lui contenir ou lui ouvrir par le fait même les portes du salut. Autrui signifie par sa vie et non par le sens que lui donne le sujet. Sans même prendre l’engagement pour autrui, le Moi est responsable pour les autres .

Il n’est pas sans importance de savoir –et c’est peut-être l’expérience européenne du vingtième siècle– si l’Etat égalitaire et juste où l’Européen s’accomplit –et qu’il s’agit d’instaurer et surtout de préserver– procède d’une guerre de tous contre tous –ou de la responsabilité irréductible de l’un pour l’autre et s’il peut ignorer l’unicité du visage et l’amour. Il n’est pas sans importance de le savoir pour que la guerre ne se fasse pas instauration d’une guerre avec bonne conscience au nom des nécessités historiques. La conscience naît comme présence du tiers dans la proximité de l’un à l’autre et, dès lors, c’est dans la mesure où elle en procède qu’elle peut se faire dés-intér-essement. Le fondement de la conscience est la justice et non pas inversement .